De tout temps, la société humaine a toujours recouru aux mythes et légendes pour garder ses ouailles sur le droit chemin déviant qu’elle s’était choisi. Le grand méchant loup, le Bogeyman ou encore le jumeau maléfique du Père Noël, Krampus, sont autant de personnages qui dévoraient, déchiquetaient et enlevaient les paysans indisciplinés et les sales mômes désobéissants. Quoi de plus efficace que de menacer indirectement les enfants de mort pour qu’ils obéissent ? Ahhhh… la bonne époque. Eh bien il semble que symbole du vampire et jeu vidéo coexistent plutôt bien !
Hé Arnold !
Pour ces histoires, l’Homme a toujours fait preuve d’une imagination débordante, allant de métaphores en allégories pour représenter le mal et la déviance. Et quoi de plus déviant qu’un étranger à l’accent prononcé et incroyablement moche dont le péché mignon n’est autre que de l’hémoglobine bien fraîche ? Les origines du vampire remontent à loin. Nous pouvons facilement en trouver des traces dans l’Antiquité, où de belles femmes vidaient déjà des hommes de leur sang. Ensuite, il suffit de remonter le flot des démons suceurs de sang, rêves, âmes et j’en passe, comme les succubes, goules, lamies ou encore les stryges.
Quant au terme vampire, qui désigne un être aussi infâme qu’impie, il trouve apparemment ses origines dans les histoires d’Arnold Paole et Peter Plogojowitz au 18e siècle. Notre bon Arnold était un soldat autrichien qui s’était fait attaquer par un vampire turc. Tiraillé par la crainte de se transformer à son tour en démon suceur de sang, il décida de le tuer, de se couvrir le visage de son sang et de manger la terre de son tombeau, seule et unique manière de se protéger de la malédiction et de reconstituer efficacement sa flore intestinale. Évidemment, cela ne fonctionna pas. Arnold se releva après sa mort et tourmenta les habitants de son village. Ceux-ci décidèrent de l’exhumer, de l’empaler d’un pieu, de le couvrir d’ail et de le brûler. Il n’y a pas de mauvais moment pour un barbecue familial. Quant à Peter Plogojowitz, il s’agissait d’un Serbe qui, lui aussi, s’était relevé après trépas pour se sustenter de ses voisins. Pour ces deux cas, de nombreux documents officiels ont été trouvés, dont les rapports des médecins et des enquêteurs chargés de l’affaire. On y retrouve le terme « vampire » pour la première fois. Il s’agit d’un mot allemand dérivé du serbe вампир et du hongrois vámpir. Dans un grand nombre de langues slaves, ce mot désigne les chauves-souris. Conclusion : Batman est un vampire !
Vampire que mieux
À ses débuts littéraires, le vampire souffrait de nombreux stéréotypes et d’une vision plutôt manichéenne. Il était l’étranger, le mal absolu, un être horrible qui s’adonne volontiers à ses pulsions sanguinaires. Il convient de noter une certaine fascination, de la part des victimes des vampires d’une part, mais également des écrivains d’autre part. Le vampire est sombre, élégant, il attire par bien des aspects. On retient particulièrement le personnage de Bram Stoker, notre cher Dracula, icône maléfique et intrigante de la pop culture d’aujourd’hui. Il a façonné l’image des vampires pendant des décennies et a acquis une image presque paternelle, il est un peu le papa de tous les vampires.
Cette image du mal absolu, on la retrouve également dans les jeux vidéo, notamment dans Castlevania, où le joueur doit combattre Dracula. L’univers Stokerien est d’ailleurs intégré au jeu, étant donné que l’on y retrouve notamment John Morris, le fils de Quincy Morris. Quincy Morris est l’un des personnages principaux du roman de Bram Stoker que l’on retrouve aux côtés de Van Helsing. Le mythe de Dracula est également à l’origine de nombreux jeux : Nosferatu en 1994 sur Snes, les jeux Dracula en 1993 et 2000, etc. Bref, symbole du vampire et jeu vidéo sont indéniablement liés !
La figure du vampire est également intimement liée à la religion. Dieu lui-même renie cette créature diabolique dépourvue d’âme. Dans La Morte Amoureuse, de Théophile Gauthier, le vampire est une femme qui détourne un honnête homme de foi de la religion. Heureusement, il parvient à revenir sur le droit chemin ; il ne faudrait pas qu’il s’amuse trop, tout de même !
Vampiguïté
Le mythe du vampire originel est bien ancré dans notre imaginaire. Dans le jeu vidéo, on retrouve un peu de Dracula dans Kain, de la série des Legacy of Kain. ATTENTION SPOILER ! Certes, dans Blood Omen: Legacy of Kain, il est le dernier vampire, mais il prend une décision afin de perpétuer sa race et endosse donc en quelque sorte sa paternité. Au cours du jeu, il progresse en restaurant des colonnes, dans lesquelles je vois le symbole de l’ascension vers le divin et une revisite du statut antireligieux du vampire. En effet, la forme d’une colonne rappelle un peu le mythe de la tour de Babel, grâce à laquelle les Hommes tentèrent d’atteindre les cieux, et était alors symbole de leur impudence. En restaurant ces colonnes, Kain devient de plus en plus puissant, bien plus puissant que n’importe quel être humain, il se rapproche par conséquent du divin et se hisse au-dessus de l’humanité, ce que l’on pourrait interpréter comme une sorte de défiance allégorique face à Dieu. Ensuite, il fonde sa dynastie et commence son règne sur Nosgoth. FIN DU SPOILER
De son statut ambigu, vampire cruel mais endossant également la figure du père presque divin, ressort la thématique de l’ange déchu. Dans Legacy of Kain: Soul Reaver, les vampires évoluent au cours du temps. Kain, le plus ancien d’entre eux, évolue logiquement plus rapidement. Cependant, Raziel, l’un de ses généraux, obtient ses ailes avant Kain, ce qui l’embête passablement. Kain s’empresse alors de les lui déchirer et le jette dans le Lac des Morts, où Raziel brûlera pendant mille ans. Il fusionnera ensuite avec la Soul Reaver, une épée dévoreuse d’âme qui rappelle un peu l’épée aux flammes bleues de l’archange Michaël. L’iconographie religieuse est omniprésente dans la série des Legacy of Kain, de même que cette idée de vampire originel. Elle s’inscrit donc dans la droite ligne des histoires de vampires classiques, et ce en dépit de la revisite du « besoin de sang » en « besoin d’âmes ».
Au cours du temps, le fantasme du vampire gracieux et élégant semble s’être précisé. Si au départ, il détournait les jeunes filles du droit chemin en les séduisant, chose horrible à l’époque s’il en est, son sex-appeal et son côté mystérieux commencent à faire rêver. Au départ monstre, il commence à se réapproprier son statut humain, notamment avec les romans d’Anne Rice, Entretien avec un Vampire par exemple. Le vampire se rapproche de l’humain, permettant ainsi l’identification du lecteur. C’est une figure malaimée, incomprise et tourmentée. Partagé entre son envie de tuer et sa soif d’humanité, le vampire combat parfois ses pulsions sanguinaires. Mais malgré cela, il reste un symbole de l’interdit, que l’on retrouve par exemple dans Buffy contre les Vampires, lorsqu’elle s’amourache d’Angel, interprété par un David Boreanaz torturé à souhait.
Symbole du vampire et jeu vidéo, quand le sex s’emmêle
Cette figure torturée, on la retrouve également dans Twilight. Edward le ténébreux, qui brille au soleil, vomit des arcs-en-ciel et excrète des licornes, veut protéger Bella de la bestialité inhérente à sa condition. Mais à la différence des vampires que l’on connait aujourd’hui, il se refuse à tout plaisir charnel avant le mariage, c’est un gentleman le Edward, doublé d’une sorte de végétarien (il ne boit que du sang d’animal). Aujourd’hui, le vampire est hypersexualisé, de même que les démons en tout genre. On ne compte plus le nombre de séries et de livres où ça fornique dans tous les coins, comme Au Bord de la Tombe de Jeaniene Frost ou La Communauté du Sud de Charlaine Harris (adapté en série sous le titre True Blood).
Bien évidemment, cette image sexualisée survient aussi dans notre média préféré. On peut citer Bloodrayne, sorti en 2002, où le joueur incarne la sexy Rayne, femme fatale au sens propre comme au figuré. Cette vampire en combinaison moulante (un peu comme Selene dans les films Underworld) découpe du nazi démonologue en tranches afin de sauver l’humanité. Elle oscille en permanence entre son statut de sauveuse et de vampire sanguinaire. L’ambigüité semble intrinsèque à la nature du vampire.
Mais comment parler du vampire sexy et ténébreux sans mentionner Vampire : The Masquerade – Bloodlines, où l’on retrouve Jeannette, délicieuse vampire schizophrène aux allures d’Harley Quinn ? Si le vampire a toujours appartenu au monde de la nuit, c’est encore plus vrai dans ce titre, où le joueur erre dans les rues sombres d’une ville pas super accueillante. Le monde de Vampire : The Masquerade – Bloodlines a des apparences criminelles et mafieuses : trafic de sang, boites de nuit étranges, gangs, attaques dans les ruelles, guerres de familles vampiriques, et j’en passe. Cet univers dangereux, mais également attirant, fait écho à la figure du vampire, provoquant tantôt un attrait certain, tantôt le dégoût. Qui n’a jamais été tenté par l’interdit ? Il suffit de voir le succès des films de gangsters, qui entraînent tant notre fascination que notre rejet, pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Et il serait légitime, selon moi, de supposer que les jeux, films, et livres de vampires reposent sur la même mécanique.
Cette créature est le symbole de la toute-puissance, du tout-est-permis, mais aussi du droit à l’erreur. Elle est aussi parfaite qu’imparfaite. Le vampire possède une grande part d’ombre, mais aujourd’hui, le manichéisme qui l’affligeait a presque disparu au profit d’une ambivalence qui le rend presque plus humain que l’humanité-même. En effet, l’erreur est humaine dit-on, et l’humain est un être imparfait constitué de chair, de sang et de pulsions inassouvies. Si le vampire exprime sa bête intérieure, nous, nous la réprimons, ce qui ne la fait pas forcément disparaître. Cependant, voir un être humain commettre des actes cruels ou céder à ses pulsions primaires peut parfois être dérangeant, là où il est rassurant de se dire que le vampire ne l’est pas tout à fait. Il permet une identification partielle, nous met indirectement face à notre part d’ombre et nous renvoie à notre imperfection. L’Homme, constamment tiraillé entre deux faces de sa personnalité, se retrouve donc assez bien dans l’ambivalence qui caractérise le vampire. Ne nous reste plus qu’à attendre le prochain Vampyr de DONTNOD Entertainment où, là aussi, nous gouterons au doux tiraillement cathartique d’un médecin vampire partagé entre sa soif de sang, et son envie de respecter le serment d’Hippocrate.
10 Responses
Gros article, il y avait tellement de choses à dire à ce sujet. Je ne suis pas un pro du vampire. Tu en as bien fait le tour d’honneur. Cela m’a rappelé certains souvenirs comme Legacy of Kain: Soul Reaver, j’avais adoré Raziel, c’était un très bon jeu, après la suite a été chaotique pour sortir, on attendait une suite qui n’arrivait pas et puis enfin elle est arrivée, que j’ai lâché cette fameuse suite.
Tu nous as proposé un dossier complet, intelligent avec une pointe d’humour. Tu te débrouilles très bien dans cet exercice, je mets 10/10 à ton bulletin ^^
Vampyr sur PS4, qui ne me parait pas bon en tout point mais à surveiller tout de même.
Oui, il y a énormément de choses à dire, c’est fou. Mais j’ai dû me limiter, sinon le dossier allait être beaucoup trop long.
Legacy of Kain: Soul Reaver, je l’ai juste adoré, j’y ai passé des heures.
Merci pour les beaux points, j’espère que ça va m’aider à passer mon année xD
Pour Vampyr, l’univers me dit bien, mais j’ai un peu peur quand je vois des extraits de gameplay…
Merci pour ce dossier PY!! Super bien écrit et super documenté!! 😉
Tu cites plein de choses qui me rappellent ma jeunesse comme buffy et angel par exemple 🙂
Le coté vampire sombre, sexy, limite effeminé me rappelle Ian Somerhalder dans vampires diaries mais je reste étonnée que dans ton dossier tu n’es pas cité un monument comme castlevania!!! Y a surement plein de chose à dire sur ces jeux là!!!
Merci !
Oui, j’ai pensé aussi à Vampire Diaries, mais je ne pouvais pas tout mettre :p
Quant à Castlevania, je l’ai cité dans la partie où je parle de Quincy Morris 🙂
En fait la sexualité dans le Vampire existe depuis Dracula mais dans ce roman, au contraire de Twilight, tout était subtil même Entretiens avec un Vampire avait ce message subliminal. Sinon félicitation pour ce dossier très complet !
Merci !
Oui, c’est pour cela que je parle des « filles détournées du droit chemin » par la séduction, au contraire des figures hypersexualisées d’aujourd’hui.
L’évolution du vampire dans la littérature, le cinéma et les jeux vidéo est vraiment complexe à appréhender, et surtout à expliquer sans s’embourber dans toutes ses subtilités.
J’aurais pu parler aussi de Sheridan le Fanu et de John Polidori, et approfondir l’Urban Fantasy, le Bit-Lit, ainsi que le changement de la figure vampirique comme représentation au départ d’exclusion de l’étranger pour ensuite devenir une représentation inclusive qui coïncide avec notre prise de conscience des problèmes que pose la xénophobie. Bref, j’adore ce sujet !
Très joli dossier et bien complet ! Pour ma part j’adore True Blood, j’ai dévoré tous les romans même si c’est vrai que pour le coup le vampire est une créature trèèèès érotique ! XD
Merci !
J’ai pour ma part jeté un œil aux romans True Blood et Au Bord de la Tombe, etc. J’ai pas trop accroché.
Je préfère les bouquins d’Anne Rice. Mais pour le dossier, c’était intéressant !
Je ne connais pas la plupart des jeux mais le dossier est passionnant. J’en apprends pas mal sur l’évolution du vampire. Là, comme ça, je pense à Skyrim !
Merci 🙂
C’est vrai que Skyrim est intéressant, vu qu’il propose le vampirisme comme un choix ! J’aurais dû l’inclure !