J’ai enfin un peu de temps pour te parler de mes dernières apparitions à la RTS pour chroniquer des sorties jeux vidéo ! Comme tu le sais, c’est désormais un rendez-vous récurrent que je fais avec beaucoup de plaisir, et qui contribue à faire parler de la diversité des jeux vidéo sur une chaîne nationale. Je ne t’ai pas commenté mon passage de mars parce que j’y parlais notamment de Lost Records: Bloom & Rage qu’Eric a déjà très bien chroniqué ici, mais j’ai par contre bien l’intention de revenir sur les jeux de mon intervention d’avril, Wanderstop et Wednesdays, parce qu’ils sont tout à fait intéressants !
Wanderstop
L’accroche de Wanderstop est très prometteuse : une équipe de rêve (avec des gens qui ont notamment travaillé sur The Stanley Parable ou Gone Home), édité par Annapurna Interactive (qu’on ne présente plus), un concept insolite de simulateur de salon de thé, et un sous-texte sur le burnout… De quoi titiller ma curiosité, assurément, et cette chronique TV était le prétexte parfait pour tenter le jeu dès sa sortie.
On se retrouve dans la peau d’Alta, combattante émérite et ultra célèbre, qui fait face à ses premières défaites et décide d’améliorer ses techniques auprès d’un mentor mythique. Seulement voilà, sur le chemin, elle s’effondre d’épuisement et est recueillie par ce brave Boro, propriétaire d’un salon de thé perdu au milieu de la forêt. À titre temporaire et un peu à reculons, elle accepte de lui filer un coup de main, le temps de reprendre des forces…
Il y a beaucoup de bonnes choses dans ce jeu. Ce que j’ai préféré, c’est l’écriture des personnages, nombreux et très attachants. On a évidemment le duo Alta et Boro qui fonctionne merveilleusement bien, elle bornée et toujours dans une course à la productivité, lui qui désamorce sa fougue avec beaucoup d’humour et de distance. Boro, c’est l’incarnation de l’instant présent, la zénitude faite homme qui a très bien compris comment se satisfaire de ce qu’il a et savourer chaque bonne nouvelle. J’aime beaucoup la façon dont il accompagne Alta sans jamais tomber dans la moralisation ou les conseils de développement personnel. Et ensuite, on a une foule de personnages qui vont passer par ce salon de thé et qu’on pourra essayer d’aider, et cette galerie de caractères haut en couleurs est vraiment réussie.
Une autre grande force de Wanderstop, c’est son discours critique et pertinent sur les mécaniques habituelles des jeux vidéo. Ici, on va sans cesse empêcher le joueur de viser la performance, la récompense, la validation. Pour des personnes comme moi qui jouent régulièrement et à beaucoup de styles de jeux, c’est tout à fait déroutant (dans le bon sens) de se retrouver confronté à un jeu qui dit : « Tu peux aménager le jardin pour qu’il soit joli, si tu veux. Par contre, au changement de saison, tout disparaîtra, mais ce n’est pas grave si tu as eu du plaisir à le faire ». L’air de rien, ça met en évidence la manière dont même des titres en apparence cosy et sans pression comme Stardew Valley ou Animal Crossing peuvent se transformer en compétition, à comparer la déco de sa maison ou la production de son champ avec le reste du monde.
Bref, tu l’auras compris, Wanderstop invite à prendre le temps, à faire les choses sans but, à se recentrer sur soi, et il offre quelques moments de grâce qui me resteront longtemps en tête. Malgré tout, je suis un peu plus mitigée sur certains détails d’exécution qui me donnent l’impression qu’il y avait trop d’idées à transmettre pour que le jeu soit totalement cohérent et percutant. Par exemple, les sollicitations constantes des visiteurs du salon de thé ne m’aidaient pas du tout à ralentir le rythme, bien au contraire : j’ai traversé ma partie de manière un peu frénétique, sans réussir à vraiment prendre du plaisir dans la contemplation. De la même manière, la machine à faire le thé est franchement pénible à manipuler, ce qui m’a poussée à faire le moins de thé possible et donc à optimiser mes recettes dans un jeu qui voudrait pourtant se défaire de toute forme d’optimisation.
Mais je n’aimerais pas juger trop sévèrement Wanderstop, qui est avant tout un jeu très ambitieux et qui cherche à réinventer beaucoup de codes fondamentaux du milieu. Pour sa démarche, la qualité de son écriture et son atmosphère assez unique, je pense qu’il mérite vraiment d’être découvert, en restant indulgent sur les petits couacs d’équilibrage presque inévitables vu le concept.
Wednesdays
On aurait voulu faire un thème sur les jeux en un mot qui commencent par W, on ne s’y serait pas pris autrement ! Le deuxième jeu qu’on a choisi de présenter, c’est Wednesdays, et là on est sur un coup de cœur foudroyant. Encore une équipe de choc (Pierre Corbinais de Bury Me, My Love et Haven, l’autrice de BD Exaheva, l’excellent label ARTE France), pour traiter cette fois de la question des violences sexuelles sur mineurs et de l’inceste, dans une expérience narrative d’une poignée d’heures.
Là aussi, la galerie de personnages est plurielle, et on va reconstituer petit à petit l’enfance de Timothée dans des souvenirs en vrac. Entre chaque épisode, on se retrouve face à un jeu de gestion rétro (si toi aussi tu as passé des heures sur Monzoo.net dans ton enfance, tu vois de quoi je parle), à construire un parc d’attractions.
Wednesdays est une vraie pépite, un bijou de narration, de sensibilité et de douceur. Tout est fait pour redonner la parole et le pouvoir aux victimes de violences sexuelles, sans tomber dans le pathos ou le voyeurisme. L’expérience est très courte donc je vais en dire le moins possible pour que tu puisses le découvrir correctement, mais je peux quand même aborder quelques généralités de ce tour de force pour te convaincre de le tester.
Déjà, l’équipe a mis beaucoup de soin dans la préservation de la sensibilité de chacun. Aucune scène n’est graphique, tout est dans la suggestion et chaque souvenir est associé à un indicateur d’intensité pour qu’on puisse s’y préparer. Il y a également des paramètres qui permettent d’éviter certains épisodes au besoin, toujours dans le but de raconter, de mettre en lumière et de respecter les limites du public. Et je dois dire que les métaphores choisies, les fragments de narration qu’on nous offre, toute cette pudeur qui enrobe le propos ne fait que le renforcer, lui offrir le meilleur des écrins et augmenter son impact.
Et surtout, l’écriture dans son ensemble est absolument brillante. Au-delà des actes en eux-mêmes, Wednesdays raconte l’après, les séquelles sur le long terme, les questionnements, le regard des autres, la reconstruction, tout en prenant soin de montrer à quel point toutes les expériences sont différentes. Il y a beaucoup de lumière dans ce jeu, et beaucoup de sincérité dans la façon dont ces étapes sont dépeintes. Le dessin, la musique et le gameplay se mettent en permanence au service du récit pour des tableaux qui sont tous plus marquants les uns que les autres. Bref, j’ai été vraiment bouleversée par ce titre et j’espère qu’il sera distribué à large échelle pour sensibiliser, avertir, soutenir et comprendre, pour créer du lien et de l’empathie, pour dissiper la honte qui accable trop souvent les victimes.
Je m’arrête là pour cette sélection, en espérant qu’elle aura titillé ta curiosité. Ces deux jeux s’emparent de sujets complexes et y apportent beaucoup de douceur. Ils sont d’ailleurs portés par des équipes qui témoignent avoir été confrontées de près aux thématiques abordées, et c’est probablement ce qui contribue à cette écriture si respectueuse et soignée. S’il faut comparer, je dirais que Wednesdays réussit à merveille à concentrer son propos et à marquer les esprits, là où l’ambition de Wanderstop parasite parfois ses magnifiques intentions. Mais les deux titres méritent qu’on s’y penche et pourraient bien trouver leur place dans la liste des jeux qui ont, un jour, participé à élargir les horizons du jeu vidéo.
Une réponse
Ce sont des thématiques particulière, pas souvent abordées dans un jeu vidéo.Tu as bien raison, vu le nombre de personne qui jouent aux jeux vidéo.
The Stanley Parable et Gone Home, j’y ai joué !
Le jeu qu’on voit dans l’émission où tu passes,c’est super chouette, je reconnais les graphismes. J’ai le jeu Lonely Mountains mais en vélo, et là je vois que c’est du snow rider. Tu m’apprends la chose, je ne le savais pas du tout. J’adore Lonely Mountains, en avant pour le snow !
Très joli la couleur des chaussures, raccord avec le gilet ^^
Bravo pour ce que tu fais comme boulot. Tu es une très belle personne, tu es unique