Le jeu vidéo en Suisse : Swiss Games Press Tour 2019

Pierre-Yves et Coline ont rencontré des développeurs suisses. Zoom sur le Swiss Games Press Tour 2019 !

À l’aéroport, je voyais déjà que je m’embarquais pour un sacré voyage. À ma sortie de l’avion, un homme me bouscule et me dit äxgüsi, pour ensuite me demander si je voulais écouter de la Hudigääggeler. Après quelques convulsions, j’ai compris que c’était de l’allemand suisse ; j’étais arrivé à Zurich. Pas de souci me dis-je, je maitrise la langue de Goethe ! Wollen Sie Zürich Geschnetzeltes probieren ? Oh, sa mère ! Bref, aujourd’hui je vous raconte à quoi ressemble le jeu vidéo en Suisse.

Zürich est une très belle ville ! Pixabay / ramboldheiner

« Mais, qu’est-ce que tu es allé faire à Zurich ? », allez-vous me demander. Eh bien, JSUG.com a été invité par Présence Suisse pendant 3 jours co-organisé avec Pro Helvetia, la fondation suisse pour la culture, afin de découvrir la scène indé de développement de jeux vidéo en Suisse. Du 10 au 12 mars, j’ai pu rencontrer plein de personnes du domaine du jeu vidéo, et le 13 mars, Coline m’a rejoint pour la dernière journée de découverte ! Inutile de préciser que nous remercions énormément Pro Helvetia et Présence Suisse pour la confiance qu’ils ont placée dans JSUG.com ! Première escale : Zurich !

Le jeu vidéo en Suisse

Tout d’abord, parlons un peu du statut du jeu vidéo en Suisse. Dans mon dossier sur les pratiques au sein de l’industrie vidéoludique, je vous ai déjà confié que le jeu vidéo était considéré principalement comme un produit de consommation de masse. Aussi, je m’efforce d’en redorer le blason culturel et de mettre en avant ses qualités artistiques dès que j’en ai l’occasion. Eh bien il semblerait que ce ne soit pas nécessaire partout ! En Suisse, nul besoin de mettre en avant le côté culturel du média vidéoludique, cela tombe sous le sens. Nos amis helvétiques mènent un combat un peu différent du nôtre. En effet, là où nous nous battons pour faire entrer les jeux vidéo dans un musée ou pour en favoriser la patrimonialisation, ils tentent d’en souligner les débouchés économiques en tant que produit de consommation. Mais pourquoi les choses se passent-elles différemment en Suisse ?

Les décors suisses sont incroyables ! Pixabay / Heidelbergerin

D’un point de vue subventions, les aides financières au développement de jeu vidéo en Suisse proviennent principalement d’associations comme Pro Helvetia, c’est-à-dire, du milieu culturel ! Les différentes qualités artistiques et culturelles du jeu vidéo étant parfaitement reconnues, soutenir son développement sous une perspective culturelle tombe sous le sens. Cependant, il semblerait que ce ne soit pas totalement le cas pour toute la Suisse. Dans la partie germanophone de la Suisse, cela est bien d’actualité, mais dans la partie francophone de la Suisse, le jeu vidéo doit encore lutter quelque peu pour s’assurer ses lettres de noblesse.

David Javet, chercheur à L’UNIL et membre de la SGDA, m’a confié une anecdote particulièrement représentative de ce combat. Un évènement du type business accelerator avec des gens importants de l’industrie vidéoludique a été organisé en Suisse. « Le Line-up aurait fait rêver n’importe quel studio français », m’a-t-il confié, et aurait causé une guerre civile à l’entrée… Eh bien en Suisse, les organisateurs ont dû contacter eux-mêmes les studios afin de les inviter à venir, tout en soulignant les multiples avantages d’une telle organisation ; et même comme ça, les studios ne se présentaient pas forcément. Heureusement, c’est en train de changer.

Paysage industriel actuel

Article Suisse
La Suisse est très dynamique. Pixabay / rawpixel

La Suisse, c’est 100 start-ups dans le développement de jeux vidéo, dont plus de 50 % se trouvent en Suisse germanophone, +/- 40 % en Romandie et le reste en Tessin. Il convient également de préciser que le jeu vidéo en Suisse est une industrie assez jeune, à peine 10 % de ces start-ups existent depuis plus de 10 ans, 60 % entre 3 et 10 ans et 30 % depuis moins de 3 ans ! Autant dire que le domaine est encore jeune, et qu’il continue de se développer grâce à des initiatives de plus en plus nombreuses.

Cependant, n’allez pas vous imaginer qu’il s’agit d’énormes studios ! Un quart d’entre eux ne comptent qu’une personne, et, pour le reste, ils comptent entre deux et cinq personnes. Si l’on est loin des entreprises de jeux AAA, le domaine n’en reste pas moins très dynamique. Les jeux suisses auxquels j’ai eu l’occasion de jouer ont d’ailleurs reçu de nombreuses récompenses ! Enfin, en Suisse, il faut savoir qu’il y a à peu près la même proportion de jeux développés dans un but de divertissement que de Serious Games (même s’il y a un peu moins de Serious Games).

Business models de la scène indé

Pendant ce voyage, j’ai pu visiter différents studios de développement indépendants. Les deux premiers se trouvent dans le même bâtiment, quasiment dans la même pièce, d’ailleurs : le studio Stray Fawn et le studio de la Team Maniax. Rentrons un peu plus dans les détails.

Le premier jeu du studio Stray Fawn !

Philomena Schwab, du studio Stray Fawn, nous a parlé du business model du studio. En tant que studio indépendant, le financement constitue le nerf de la guerre. En effet, pour développer un jeu vidéo, il faut des ressources financières. Quand on voit que le budget nécessaire pour développer un jeu indé avoisine parfois le million d’euros (jusqu’à 250 millions pour certains AAA) il est aisé de comprendre où cela peut coincer. Développer un jeu complet et de grande envergure ne se résume pas à du codage pendant le temps libre, loin de là. Il faut déjà pouvoir rémunérer une équipe, parce que oui, s’agissant d’êtres humains, les employés ont besoin de manger, payer leur loyer, avoir du temps libre, etc. Malheureusement, le développement d’un jeu ne rapporte pas du tout d’argent, il faut donc soit avoir déjà vendu des jeux et ainsi disposer d’un capital de départ, soit obtenir un financement externe.

Campagnes Kickstarter

Le second jeu du studio Stray Fawn !

Pour le studio Stray Fawn, les campagnes de financement Kickstarter sont très importantes. Cela permet non seulement de sonder le marché et de se faire une idée de si le jeu aura un public, mais également de disposer d’un capital de départ afin de pouvoir bosser à plein temps sur le jeu. En Suisse, le côté culturel du jeu vidéo étant bien reconnu, il est possible d’obtenir des aides financières de la part d’associations de promotion culturelle, comme Pro Helvetia, ce dont le studio a également profité. Ce financement servira par la suite à développer le jeu et à en faire la promotion. Eh oui, il ne suffit pas de développer un bon jeu pour qu’il se vende ! Encore faut-il que les joueurs en entendent parler ! Chez Stray Fawn, ils passent par tous les canaux possibles et inimaginables : Facebook, Twitter ou Instagram sont des grands classiques auxquels tout le monde pense directement, mais ils font également de la pub sur des sites comme reddit ou 9gag. Il semblerait que 9gag leur ait permis de faire un buzz avec quelques gifs pour Nimbatus, l’un des jeux qu’ils développent actuellement, ce qui a attiré l’attention de nombreux contributeurs Kickstarter. Naturellement, la communication prend énormément de temps. Philomena nous a confié passer une demi-journée par semaine à bosser sur les campagnes marketing, mais beaucoup plus pendant les campagnes Kickstarter. C’est donc le studio même qui prend en charge l’ensemble des dépenses marketing.

Niche est une sorte de jeu de stratégie !

Ces campagnes Kickstarter constituent toujours le premier pas dans le développement d’un jeu du studio Stray Fawn. Ensuite, une fois le développement assez avancé, ils proposent leur jeu en accès anticipé. Si le terme peut faire grincer des dents au vu des pratiques actuelles, il faut être conscient qu’il s’agit parfois d’une des seules manières pour des studios indépendants de continuer à développer des jeux. Ces studios sont particulièrement vulnérables à des changements conjoncturels. Par exemple, le fameux « October Bug » de Steam a eu des effets catastrophiques sur les finances de certains studios. En effet, en raison d’une offre gigantesque de jeux indés sur Steam, il est nécessaire de recourir à des systèmes de recommandation basés sur les ventes, la popularité de certains jeux, la note reçue, etc. C’est grâce à cela que les studios obtiennent leur visibilité. En octobre 2018, un changement de l’algorithme de recommandation de Steam a causé un bouleversement sans précédent dans le système pour les studios indépendants. Certains ont vu leurs ventes chuter de près de 70 % en très peu de temps ! Philomena Schwab nous a confié que nombre de studios suisses ont dû fermer suite au « bug ».

Portages différés

Quant à la Team Maniax, ils ne s’occupent pas du tout de pub, étant donné qu’ils sont édités par le studio Stray Fawn, ce qui leur permet de consacrer tout leur temps au développement des jeux. Leur business model est un peu différent de Stray Fawn, dans le sens où ils ne passent ni par une phase Kickstarter, ni par un accès anticipé. Par contre, chose intéressante, là où il est d’usage de sortir toutes les versions d’un jeu en même temps, la Team Maniax s’est exclusivement dédiée au développement de la version Switch de Retimed, leur premier jeu. Ensuite, une fois le jeu sorti, ils ont pu commencer à travailler sur le portage de leur jeu.

L’équipe de la Team Maniax !

Cela prend énormément d’énergie et de temps pour porter un jeu sur plusieurs plateformes, chose particulièrement compliquée pour des studios indépendants. Cela fait donc sens de d’abord se concentrer sur une plateforme dans un premier temps, pour ensuite profiter du capital accumulé grâce à la vente d’une version afin de développer les autres versions. Les studios indépendants sont toujours contraints de développer des sortes de stratégies, non pas pour engranger du profit, mais simplement pour survivre en tant que petites et moyennes entreprises !

Free to play

J’ai joué sur cette télé !

Nous avons également visité le studio Blindflug qui, pour sa part, recourt parfois à la formule Free to Play. Ce modèle économique, tout comme les accès anticipés, a tendance à faire grincer des dents. Encore une fois, il convient de différencier les pratiques douteuses des studios AAA, des pratiques nécessaires des plus petits studios, même si jamais rien n’est tout blanc ou tout noir ; il y a également des pratiques problématiques parmi les studios indés. Le modèle Free to Play a ça de pratique qu’il permet différents systèmes de monétisation, comme la publicité ou les micro-transactions. Ainsi, que les joueurs soient dits « gratuits » ou « payants », il est possible de gagner de l’argent. L’argument du jeu gratuit est souvent intéressant pour les joueurs dans le sens où ils ne prennent pas de risques en jouant à tel ou tel jeu. Là où il est nécessaire de débourser jusqu’à 70 € pour des jeux payants, le Free to Play ne nécessite pas d’achat préalable. Le joueur peut ainsi choisir de désinstaller le jeu après l’avoir testé, et ce, sans avoir l’impression de s’être fait avoir. Ce  fut d’ailleurs le cas d’Eric avec 3on3 Freestyle.

Airheart du Studio Blindflug !

Cependant, il est parfois compliqué de bien optimiser un Free to Play. Comme nous l’expliquait le développeur de Blindflug, il faut autant bichonner les joueurs gratuits que les joueurs payants. Si les joueurs gratuits n’apprécient pas le jeu, ils partent. Du coup, le jeu devient vide, et de facto moins intéressant pour les joueurs payants. Aussi le studio Blindflug se refuse-t-il de verser dans le pay-to-win. Bref, nous arrivons à la fin de la première partie de mon dossier sur le Swiss Games Press Tour (vous savez comme j’aime faire des dossiers à rallonge). À la prochaine pour la suite !

Vidéo vlog

Pendant mon voyage, j’ai emporté ma caméra et mon micro-cravate. Du coup, je vous invite à consulter la vidéo de mon voyage. La vidéo et le dossier sont pensés pour être complémentaires. La vidéo est plus riche en anecdotes intéressantes, là où le dossier se veut parfois plus technique. Bref, foncez !

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10 Responses

  1. Super début de compte-rendu ! J’ai super hâte de lire la suite, tout ce que tu nous dis est passionnant P-Y ! On se rend compte à quel point c’est difficile pour un studio indé de se lancer quand même… Ou du moins de se faire connaître. Très heureux aussi de savoir que vous avez été choisis pour couvrir cet événement. Longue vie à JSUG !

  2. Je suis pour le free to play dans le sens où tu peux jouer au jeu, et comme tu dis, c’est justement une démo complète qu’on peut jouer. Maintenant on voit de plus en plus des jeux AA et A+ arriver avec leur weekend gratuit, pas le choix pour vendre, il faut donner les clés à la clientèle sinon pas d’achat.

    Le risque que le jeu plaise pas et soit déserté mais c’est justement ça qui fera qu’un bon jeu en ressortira gagnant peut-être, parce que tu n’es pas obligé d’acheter mais tu sais profiter d’aller loin dans le jeu…d’ailleurs 3 ou 3 freestyles. Les campagnes de financement sont une aide précieuse pour tout d’ailleurs.

    Après niveau pub, je reste convaincu que ce n’est pas en faisant de la pub sur des réseaux sociaux qu’un jeu va faire mouche. Je préfère voir un jeu comme ici sur le blog(webzine) qui traite en partie de jeux vidéo.
    Ma concentration va plus sur une chose, que d’aller partout.
    Un reportage qui serait bien et dont je me demande : « le pourquoi est-ce si difficile de faire un portage sur les autres consoles » et ainsi de voir toutes les phases que cela impliquent.

    Je suis déjà passé sur ton vlog partie 1 et j’ai repéré un jeu… il tape tout de suite dans l’œil pour 14.99euros

    1. Content que cela te plaise !

      C’était très intéressant pour moi d’écouter ces développeurs parler des différentes stratégies commerciales !

      Concernant la pub, tout dépend également de la taille des studios et de la visibilité. Pour les plus petits studios, il est compliqué de ressortir de la masse, et ils n’ont pas forcément accès aux sites principaux. Sur ce point, je te conseille la dernière vidéo de Game Spectrum !

      Merci pour ton commentaire en tout cas 🙂

      1. Je suis tombé sur un documentaire super intéressant « Comment se fabriquent les jeux vidéo »
        En tapant sur youtube Game Spectrum

  3. Dossier très intéressant, il va falloir que je poursuive par le visionnage de la vidéo !

    Il est très difficile pour les start up et petit studios indés de survivre aux premiers projets, je suis en tout cas ravi que la Suisse investisse sur ses jeunes talents !

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