Dossier : comment fait-on de l’histoire des jeux vidéo ?

Vous vous demandez comment on fait de l'histoire des jeux vidéo ? Devenez vous aussi un historien en herbe !

Faire de l’histoire des jeux vidéo ? Facile : on raconte Pong, Space Invaders, Mario et voilà. Sauf que… c’est bien plus compliqué que ça. Ce dossier est un peu plus long que d’habitude, car il pose les bases d’une série ambitieuse : explorer l’histoire du jeu vidéo autrement. On y parlera de perspectives multiples, de documents oubliés, de pratiques culturelles, de fans, de créateurs et créatrices invisibles, de capitalisme (eh oui, vous me connaissez, à la longue). On va démonter les idées reçues et ouvrir de nouveaux chemins. Aujourd’hui, on va se demander comment on (re)construit l’histoire du jeu vidéo, passer en revue les perspectives possibles et se pencher sur les potentielles ressources !

Le père spective guide ses ouailles

Les articles sur l’histoire des jeux vidéo abondent sur les Internets, ce n’est pas nouveau. Vous avez probablement lu moult articles sur le rôle de Spacewar! ou de Pong pour le développement de l’industrie vidéoludique. Mais avant tout, il faut souligner une chose importante : l’histoire est écrite par les gagnants, ou à tout le moins, par ceux qui ont le pouvoir de raconter. L’histoire que vous avez apprise à l’école, les documentaires historiques, l’histoire des jeux vidéo transmise sur YouTube, dans des articles ou livres, toutes les sources sont biaisées d’une manière ou d’une autre (y compris mes articles).

Histoire des jeux vidéo
L’ENIAC, l’un des premiers ordinateurs !

Classiquement, on vous a probablement conté les exploits de quelques rares élus ayant pavé la voie au média vidéoludique grâce à leur clairvoyance et autre approche disruptive de jeunes cadres dynamiques en avance sur leur temps, comme Nolan Bushnell ou Peter Molyneux. Seulement voilà, comme le dit le chercheur Björn-Olav Dozo, de l’Université de Liège, l’histoire des jeux vidéo est orientée, centrée sur l’industrie vidéoludique occidentale et s’avère globalement trompeuse. Elle est écrite par les acteurs de l’industrie pour leur propre bénéfice. En effet, quoi de plus vendeur pour le média vidéoludique que de le présenter comme le résultat fatidique du progrès et de l’innovation technologique ?

D’ailleurs, dans nos sociétés modernes, la technologie est partout et rythme notre vie de tous les jours. On la voit souvent comme un symbole du progrès et des grandes étapes de l’histoire. Certains, comme David Noble dans son livre The Religion of Technology: The Divinity of Man and the Spirit of Invention, vont même plus loin et affirment que la technologie a pris une place presque religieuse dans notre société. Noble explique que depuis le Moyen Âge, beaucoup de penseurs et d’inventeurs ont vu la science et la technologie comme un moyen d’atteindre un idéal, presque comme une forme de salut. Pour lui, cette idée continue aujourd’hui : on pense souvent que la technologie peut résoudre tous nos problèmes, dépasser nos limites humaines, et même remplacer certaines croyances religieuses. Ce thème revient aussi souvent dans la fiction, comme dans les œuvres du courant cyberpunk, où les machines et les humains fusionnent, promesse d’une vie meilleure, et où la technologie semble devenir un nouveau « dieu ».

Histoire des jeux vidéo
Certains font remonter l’histoire des jeux vidéo jusqu’au Turc mécanique, au XVIIIe siècle.

Ce fantasme du progrès technologique contamine également l’histoire classique du jeu vidéo. Les bornes d’arcade apparaissent d’abord. Ensuite, les microprocesseurs rendent la programmation de jeux vidéo plus aisée, les consoles et les ordinateurs infiltrent les foyers, et enfin se succèdent les générations de consoles, dont la puissance ne cesse d’augmenter pour en arriver à des jeux vidéo toujours plus complexes, riches, réalistes, meilleurs… Mais ce récit linéaire est trompeur. Il occulte les pratiques marginales, les jeux oubliés, les territoires invisibilisés, et surtout les joueurs et joueuses.

Les histoires du jeu vidéo : reculer pour mieux conter

Les perspectives possibles pour aborder le jeu vidéo sont quasi infinies. Mais d’abord, définissons ce qu’est une perspective en histoire. Ce terme désigne une posture d’analyse, une grille de lecture qui influence la manière dont on sélectionne, interprète et organise les faits. Un peu comme choisir la caméra dans un jeu vidéo : vue subjective, vue de dessus, isométrique ou troisième personne. Chaque perspective met en valeur certains éléments, et en laisse d’autres dans l’ombre.

Histoire des jeux vidéo
Pac-Man ressort systématiquement dans l’histoire des jeux vidéo.

C’est généralement l’histoire des ordinateurs et consoles qui est choisie dans la plupart des ouvrages. L’on pourrait croire que celle-là, au moins, est objective, indéniable et homogène d’un point de vue mondial. Or, il suffit de se pencher sur les périodes de commercialisation des consoles par territoire pour se rendre compte que ce n’est pas le cas. Aux U.S., les années 1970 ont marqué un tournant majeur avec la commercialisation massive de l’Atari 2600, là où au Japon, c’est plutôt avec la Famicom (NES) que le jeu vidéo prend son essor. Déjà avec un objet concret comme les consoles, le mythe d’une histoire du jeu vidéo mondialement unifiée s’écroule instantanément.

Dans la droite ligne d’un récit des succès, nombreux sont les livres à retracer l’histoire d’acteurs majeurs de l’industrie. On vous parle par exemple de Nintendo, qui a su réagir de manière appropriée à la suite de la crise états-unienne des jeux vidéo en 1983 en imposant un contrôle important sur la qualité des jeux commercialisés sur ses consoles, sauvant in extremis une industrie sur le déclin. On vous parle aussi de la rivalité entre SEGA et Nintendo, qui rythmait les débats dans les cours de récré. Mais quid des petits studios ? On pourrait par exemple retracer l’histoire de Fishing Cactus, studio belge qui a donné naissance à de véritables bijoux de game design avec ses jeux Epistory: Typing Chronicles et autres Nanotale !

Choisir de retracer l’histoire de franchises particulières est une autre voie possible, comme Assassin’s Creed, dont le premier jeu est paru en 2007 avec une formule innovante. Vous incarniez Altaïr, mi-assassin, mi-yamakazi, capables de s’accrocher à chaque façade, appui de fenêtre ou poutre pour fuir ses ennemis, ou au contraire, les pourchasser. La foule devenait un moyen de se fondre dans la masse, on préparait ses attaques. Pour l’époque, c’était fou. Ensuite, Origins a changé la formule, Mirage a tenté un retour aux sources, et Shadows essaie de faire on ne sait trop quoi. Retracer l’histoire de la franchise, c’est l’opportunité par exemple de réfléchir aux habitudes des joueurs en termes de game design, de sujets de société (Shadows s’est pris de sacrées charges pour son prétendu côté woke) ou encore de se pencher sur les progrès techniques.

Histoire des jeux vidéo
Fishing Cactus nous a pondu de vraies pépites !

Retracer l’histoire d’un genre représente une possible approche. Imaginons un article (que je vais probablement vous pondre un jour ou l’autre) portant sur l’évolution des RPG au tour par tour qui retracerait les premiers jeux comme Dragon Quest et Final Fantasy pour en arriver aux remakes plus dynamiques actuels ! Ce serait également l’occasion d’aborder les titres qui remanient les fondements du genre, comme Sea of Stars ou Clair Obscur: Expedition 33.

Parfois, ce sont les créateurs connus qui occupent le devant de la scène : Michel Ancel, créateur de Rayman, Hideo Kojima et le mythique Metal Gear de 1998 ou encore Shigeru Miyamoto, papa de Mario et de Zelda. Toutefois, ne serions-nous pas encore en train de nous concentrer sur les gagnants ? Si l’on parle d’eux, c’est avant tout parce qu’ils sont connus mondialement. Quid de la foule d’artistes, de développeurs et de game designers invisibles au sein des centaines de personnes participant à la création des jeux vidéo ? N’auraient-ils pas des choses intéressantes à dire sur le processus de développement ?

Studio Clair Obscur: Expedition 33
L’équipe de Sandfall Interactive, à qui l’on doit le chef-d’œuvre Clair Obscur: Expedition 33.

Toutes ces possibilités de perspectives coulent de source, mais il existe des chemins de traverse tout aussi passionnants. Mathieu Triclot, philosophe des jeux vidéo, propose ainsi de s’intéresser aux « lieux du jeu ». D’abord réservés aux laboratoires de recherche, les jeux vidéo ont fait leur entrée dans les amusements parks et les bars aux États-Unis, pour ensuite infiltrer les foyers et les centres commerciaux. Penser l’histoire à travers les lieux du jeu, c’est avant tout penser le jeu vidéo comme une pratique sociale, et non plus comme le produit de l’évolution technologique uniquement.

À l’échelle des joueurs, nous avons une pléthore d’histoires à (ra)conter. The Great Review fait par exemple un travail remarquable en retraçant l’histoire des GETigers, l’une des meilleures équipes eSportives de Corée. Iconoclaste, fantastique YouTubeur parlant de jeux vidéo, raconte moult épopées telles que la guerre éternelle sur Foxhole ou les dérives perturbantes dans Habbo Hotel, un jeu sorti au début des années 2000. Que dire des communautés qui s’organisent pour mener à bien des projets dantesques, comme Michiyo et son fandub de Kingdom Hearts III ?

Interview Michiyo Fandub
C’était un sacré projet !

Il est aussi possible de se concentrer sur des disciplines ou des corps de métier. En 2022, je vous présentais l’histoire de la localisation de jeux vidéo, qui se fait le reflet à la fois des évolutions technologiques et des pratiques. On pourrait aussi, comme le fait très bien Laureline Chiapello dans son article Epistemological underpinnings of game design research (Fondements épistémologiques de la recherche en game design), retracer l’histoire des écoles de pensée du game design.

Enfin, vous avez déjà subi certaines de mes lubies. En son temps, je vous ai proposé une sorte de perspective historique de l’herbe dans le jeu vidéo. Si ce sujet peut prêter à rire, il s’avère qu’il est possible d’en observer les enjeux technologiques (avec l’herbe hyperréaliste), les pratiques artistiques (avec la manière dont la nature est stylisée), mais également de faire de la sociologie des pratiques en se penchant sur la manière dont les joueurs et joueuses utilisent l’herbe dans les jeux compétitifs. L’herbe permet aussi de retracer les pratiques de game design, ou de tirer des conclusions sur le rapport de l’humain et de la nature. Bref, peu importe l’angle choisi, il y aura toujours des choses à dire. Aussi, je vous propose une série d’articles avec différents objets et perspectives !

Les docs hument les bonnes histoires

Jusqu’à présent, je vous ai parlé de différentes approches et perspectives pour faire de l’histoire du jeu vidéo, mais je vois qu’une question vous taraude depuis le début de cet article. Sur quel document se base-t-on pour faire de l’histoire du jeu vidéo ?

L’analyse de jeux

Eh bien oui, l’une des manières de procéder, de faire de l’histoire des jeux vidéo, c’est de jouer aux jeux en question afin d’en analyser le contenu narratif ou les mécaniques de jeu. Vous allez me dire que ça tombe sous le sens, mais jouer aux jeux implique toute une série de questions. Premièrement, le jeu vidéo est ce que l’on appelle une expérience instrumentée, c’est-à-dire que pour pouvoir jouer, nous devons utiliser des instruments et périphériques précis, et que ces instruments ont une influence sur notre expérience de jeu.

Black And White
Tous les jeux ont des choses à raconter.

Certaines personnes, par exemple, ne jouent pas à des FPS sur console, parce qu’elles sont habituées à y jouer au clavier et à la souris (j’en fais partie) : jouer à Call of Duty sur PC ou sur console représente deux expériences passablement différentes. Pour les jeux d’aujourd’hui, cela n’est pas très grave. Il suffit d’y jouer sur PC et sur console pour en comparer les conditions de jeu, mais que faire des jeux qui tournaient sur des machines faisant la taille d’une Fiat Multipla ? Quid des jeux sur borne d’arcade, ou des jeux qui tournaient sur les premières consoles ? Se rendre dans un bar, enchainer les parties de Pong avec une bande de potes alcoolisés peut constituer une expérience très différente d’une partie de Pong en cours d’histoire du jeu vidéo. Joue-t-on réellement au jeu, ou à un pauvre ersatz de l’expérience de l’époque ?

Pitfall
Où peut-on stocker tout ça ?

Ensuite, en 2018, je vous parlais des enjeux de patrimonialisation du jeu vidéo. Imaginons que nous ne voulions pas jouer à des jeux vidéo sur émulateurs. Comment fait-on pour conserver les jeux et les consoles ? Où les entrepose-t-on ? Quels jeux vidéo garde-t-on ? La Bibliothèque nationale de France a par exemple un programme de patrimonialisation du jeu vidéo, qui fait d’ailleurs des émules. À Liège, en Belgique, la bibliothèque des Chiroux fait de même, mais à la différence que les jeux à conserver sont triés sur le volet. Étant donné que le jeu vidéo souffre encore de son lien avec les enfants dans l’imaginaire collectif, ne sont conservés que les jeux autorisés aux moins de 18 ans. Si l’on étend cette manière de faire à d’autres médias culturels comme les livres, l’aspect problématique de la démarche frappe immédiatement, et le mot « censure » pointe le bout de son nez. Bref, faire de l’histoire du jeu en jouant est possible, mais cela implique des enjeux inattendus.

Par exemple, la question des émulateurs s’avère particulièrement intéressante également. Du point de vue de la loi, les émulateurs se trouvent dans un entredeux. D’un côté, il s’agit de logiciels qui reproduisent l’architecture technique de machines sans autorisation des ayants droit, et d’un autre, il s’agit d’une manière de préserver l’accès à des jeux vidéo qui sombreraient autrement dans l’oubli. À l’instar des bidouilleurs qui ont donné vie au jeu vidéo lors de l’apparition des ordinateurs, la culture du hacking continue de jouer un rôle important dans la conservation et dans l’expansion du média vidéoludique.

Recherche documentaire et archivistique

Comme dans tous les domaines où l’on tente de retracer une histoire particulière, les archives jouent un grand rôle pour l’histoire des jeux vidéo. Mais, de quoi les archives du jeu vidéo sont-elles constituées, me demanderez-vous à juste titre ? Eh bien, en premier lieu, des articles de la presse spécialisée en jeux vidéo. Les tests, par exemple, sont des ressources précieuses quant à la réception d’un jeu à un instant T. Il m’est déjà arrivé de me replonger dans des tests des années 1990 dans le cadre de ma thèse, et ce, afin de pouvoir me représenter le contexte socio-historique de la commercialisation d’un jeu.

Histoire des jeux vidéo
Le Pixel Museum de Bruxelles a fait faillite…

Tout comme c’est le cas pour les jeux vidéo, les archives de ce style tendent à disparaître, puisque les noms de domaine expirent après un certain temps. The Wayback Machine, un moteur de recherche qui sauvegarde à intervalle régulier toute sorte de sites web, représente à ce titre un outil précieux en matière de conservation des ressources en ligne. Certains sites web se sont donnés pour objectif de numériser et de conserver les divers magazines de jeux vidéo à partir de leur apparition, afin d’y donner accès.

WaybackMachine
Ce site m’a sauvé la mise plusieurs fois déjà.

Les archives ne sont cependant pas constituées d’articles de la presse spécialisée uniquement, et elles ne sont pas toutes publiques. Il est fréquent pour les entreprises de conserver toute une série de documents, allant des ressources de game design aux rapports internes, en passant par des post-mortem. Toutefois, tout n’est pas rose, loin de là. Il s’avère que les acteurs de l’industrie vidéoludique sont plutôt frileux à l’idée de partager leur documentation, principalement en raison de droits d’auteur. La recherche en digital game studies se développe cependant petit à petit, et les acteurs et éditeurs y donnent de plus en plus accès.

Les documents de game design sont de vrais diamants bruts en ce qu’ils permettent souvent d’approfondir les analyses d’un jeu donné. Prenons l’exemple de Grim Fandango, un célèbre Point’n Click des années 2000. Il est possible de trouver en ligne un document retraçant toutes les décisions de game design du point de vue des énigmes. 

histoire des jeux vidéo
C’est sans aucun doute un trésor.

L’image que vous voyez ci-dessus est un Puzzle Dependency Chart, c’est-à-dire un modèle de représentation des étapes minimales nécessaires à l’accomplissement d’une énigme dans le jeu. Ce modèle donne des informations sur la manière dont a été conçue l’énigme, notamment sur les moments où elle passe d’une logique linéaire (où les étapes doivent être accomplies les unes après les autres) à une logique non linéaire (où elles peuvent être accomplies parallèlement). On y trouve également des commentaires de l’équipe de game design à destination du reste du studio et des potentiels investisseurs.

Les commentaires fournissent de précieuses informations quant à la sphère ludique de Grim Fandago. Dans le cinquième encadré, on apprend par exemple que la progression des énigmes a été pensée pour intégrer un degré croissant de non-linéarité, ce qui est logique lorsque l’on est au fait de certaines stratégies de game design. Dans les Point’n Click, la difficulté provient en règle générale de la difficulté de l’accomplissement d’une étape, mais également, et peut-être surtout, de la quantité d’étapes pouvant être réalisées en parallèle, puisque ce sont autant d’éléments que les joueurs et joueuses doivent prendre en compte à un instant T. Le document en entier fait plus de 70 pages, et contient toute sorte d’informations sur le jeu.

Moby Games
Un travail d’acharné !

Mais les bibliothèques, les musées et les archives des entreprises ne sont pas les seules à représenter des ressources archivistiques précieuses. MobyGames est un pur trésor, et il est accessible à tout un chacun. Il s’agit d’un site web qui s’est fixé pour but de créer une base de données sur les jeux vidéo. À l’heure où j’écris ces lignes, le site recense des données et des documents sur pas moins de 288 138 jeux vidéo différents, et un million de professionnels qui travaillent ou ont travaillé dans le domaine. Bref, c’est un sacré boulot qui a été accompli ! Ce sont autant de ressources qui peuvent être mobilisées dans le cadre de l’établissement de l’histoire des jeux vidéo.

Interviews et témoignages

Les interviews et témoignages jouent aussi un rôle important dans la construction de l’histoire des jeux vidéo. Les premières personnes-ressources auxquelles on pense directement, ce sont les créateurs et créatrices de jeux vidéo. On ne compte pas les interviews de Kojima dans la presse spécialisée, comme celle où il sous-entend dans le plus grand des calmes que les États-Uniens sont trop bêtes pour comprendre le génie de son œuvre Death Stranding. L’un des soucis majeurs de ce type de document est qu’ils font souvent la part belle aux personnes connues, tandis que les petites mains restent dans l’ombre. Mais pas de ça chez JSUG.com ! Nous, on donne la parole à tout le monde dans nos rubriques Interview du JV et La parole aux lecteurs.

Hideo Kojima
On ne compte plus les interviews d’Hideo Kojima !

Je vous parlais tout à l’heure de Michiyo, la cheffe d’orchestre qui a chapeauté un projet de fandub de Kingdom Hearts III. Il s’agit là d’un trésor en termes de connaissances quant aux pratiques des fans, de l’ampleur des projets de doublage, des embuches que ce genre d’entreprise peut poser. Ce projet qui est amateur, étalé sur plusieurs années, illustre l’appropriation linguistique et émotionnelle d’une œuvre par ses fans, ainsi que les tensions entre pratique culturelle et propriété intellectuelle. Le site web GamingJobs est également un bel exemple d’interviews riches et variées portant sur nombre de corps de métier dans le milieu du jeu vidéo (j’y ai d’ailleurs été interviewé en tant que chercheur).

Discours et récits

Depuis des temps immémoriaux, avant que la plupart de mes étudiants ne soient nés, les gameurs et gameuses partagent leurs expériences en ligne, parlent de jeu vidéo, ou gueulent très fort quand ils ne sont pas contents. Les forums sont une source d’informations particulièrement précieuses. On y retrouve pêlemêle des discussions sur la qualité des jeux vidéo, sur les enjeux sociétaux soulevés par tel ou tel titre, des partages de bonnes pratiques (j’ai moi-même arpenté Reddit dernièrement dans un élan de désespoir face au boss secret Simon de Clair Obscur), des histoires personnelles, bref, toute sorte de choses qui passionnent les historiens en herbe que nous sommes.

Reddit
On trouve beaucoup de discussions passionnantes sur Reddit !

Une autre source intéressante est par exemple les avis laissés par les joueurs sur les sites spécialisés comme JVC, mais surtout sur les plateformes dédiées comme Steam ! Saviez-vous qu’il existe une pratique qui consiste à rédiger des articles variés dans les avis sur des jeux poubelles ? Ainsi, on trouve parfois des essais sur l’histoire de la guerre civile espagnole de 1936 par exemple. Vous l’ignoriez ? Eh bien ça aussi, ça dit quelque chose de la culture vidéoludique.   

Joueur du grenier
Fred et Seb font de l’histoire des jeux vidéo aussi !

Une autre plateforme incroyable, c’est YouTube ! Si les vidéos du Joueur du Grenier peuvent sembler dérisoires, elles constituent de formidables testaments non seulement aux jeux rétro, mais également à notre rapport actuel à ceux-ci ! En analysant la manière dont Fred et Seb parlent des jeux qu’ils testent, nous pouvons tirer des conclusions quant à l’évolution des pratiques de game design, des sujets abordés dans les jeux, mais également des sujets qui intéressent les gameurs et gameuses à un instant T ! L’évolution du format de leurs vidéos est également passionnante, puisqu’elle est le reflet des changements des pratiques médiatiques des jeunes d’aujourd’hui. On peut aussi se pencher sur les Let’s Play ou les streams, sur les tchats de ceux-ci, sur les types de contenus qui cartonnent, sur les jeux populaires, impopulaires.

Archéologie et rétro-ingénierie

Lorsque l’on mentionne l’archéologie, on pense immédiatement aux historiens classiques, qui vont batifoler dans le sable et la boue pour trouver des trésors enfouis. Quel rapport avec le jeu vidéo ? Eh bien, nous aussi, nous avons nos Indiana Jones en herbe ! Est-ce que le nom de Joe Lewandowski vous dit quelque chose ? Il s’avère que ce cher monsieur a supervisé les fouilles du site d’Alamogordo au Nouveau-Mexique, où ils ont découvert le site d’enfouissement de milliers de cartouches Atari !

Atari décharge
On en a trouvé des cartouches Atari à Alamogordo !

Outre cet exemple particulièrement concret, rares sont les gens à savoir qu’il existe également des archéologues des médias. Ce type d’archéologie peut prendre plusieurs formes. L’une d’elles se rapproche de l’analyse de jeux vidéo classique : on prend un jeu, de préférence multijoueur dans lequel la communauté peut bâtir des choses, et on explore. Tom Boellstorff a d’ailleurs écrit un livre entier sur le jeu Second Life après avoir passé des années à en étudier les différentes communautés. L’idée étant que les pratiques des joueurs et joueuses, mais également ce qu’ils créent, constituent des sujets d’étude particulièrement riches.

Enfin, quelle plus belle façon de s’improviser archéologue qu’en explorant le code de vieux jeux, ou même des jeux actuels. En 2021, je vous racontais l’histoire de la quête du dernier grand secret dans Shadow of the Colossus, où des joueurs ont été jusqu’à décortiquer le moindre pixel, la moindre ligne de code pour tenter de percer une bonne fois pour toutes le mystère d’un ultime secret. Tant cette histoire que les connaissances qui ont été mises au jour constituent des ressources précieuses pour les historiens et historiennes de demain !

Histoire des jeux vidéo : et la suite ?

Faire l’histoire du jeu vidéo, ce n’est pas simplement aligner des dates, citer de grands noms ou raconter l’évolution technologique des consoles. C’est interroger les récits dominants, explorer les angles morts, et reconnaitre que chaque perspective, qu’elle soit industrielle, technique, affective ou même anecdotique, éclaire un pan différent de ce médium en constante mutation. À travers les documents, les témoignages, les archives numériques, les pratiques amateurs ou les glitchs explorés à la loupe, ce qui se dessine, ce n’est pas une histoire du jeu vidéo, mais une multitude d’histoires possibles. Celles des fans, des oubliés, des contextes locaux, des expérimentations, des communautés. Celles qui se bricolent dans les marges et la passion.

Dans les prochains articles de ce dossier, nous allons explorer ensemble différentes approches historiques, nous concentrer sur des sujets parfois classiques, parfois étonnants, parfois farfelus, mais toujours riches. Je vous propose de prendre l’histoire des jeux vidéo, et de la retourner dans tous les sens jusqu’à plus soif. S’il y a des sujets que vous souhaitez que j’aborde, faites-le savoir en commentaire !

Sources :

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4 réponses

  1. Tu nous fais un melting-pot de tout ce que tu as réalisé.

    Tu as oublié de dire qu’on a retrouvé des bateaux en cale sèche avec des bornes d’arcade parfois en bonne état, laissé là, à l’abandon, qui était une mine d’or.

    Le point’n’click qui était des jeux phares et qui petit à petit sont devenu discret.

    Et il y a tellement de grands titres dans cette branche…

    On pourrait parler de Donkey Kong country qui a révolutionné le domaine de l’eau.

    Nous étions bluffé quand on a vu un jeu 16 bits qui en faisait 32. Pour la première fois le rendu de l’eau était énorme

    Ensuite Wave race 64 qui accompli un truc de fou avec le mouvement des vagues devenus réalistes.

    Comme Lara croft n’a jamais perdu son haut dans l’eau malgré des mouvement acharnés et intense avec ses bras.

    Sur Game&Watch, le jeu Donkey kong, mario a la base ne devait pas être mario, je crois.

    Le premier assassin’s creed, pour changer de lieu, il fallait attendre, il y avait un téléchargement. C’était le hic du jeu ^^

    L’histoire du jeu vidéo, c’est nous tous. Ce sont ceux du début, qui vieillisse et c’est surtout devenu un héritage a transmettre, surtout les énormes joueurs qui possèdent et collectionnent tout.

    Je trouve que dans l’histoire des jeux vidéo, on oublie trop l’Amiga et ses nombreuses pépites, il en avait des 100ène des bons jeux vidéo, tu t’imagines même pas. J’avais un bon copain dont son grand frère avait un poteau, qui en avait 8.000 des jeux amiga. Je n’ai jamais su si c’était vrai dans avoir autant ? J’en ai posséder un bon 600 jeux, toutes mes disquettes, que je m’étais dans des boites en plastique pour disquettes.

    Cela fait drôle, mais c’est vrai que j’ai vécu ça, ça fait tellement longtemps

    Il y a plein de chose à raconter, l’histoire d’un jeu que vous ne retrouverai jamais tellement il était énorme pour un jeu musicale à l’époque , j’ai déjà cité son titre Jumping Jack’son.

    La façon de jouer à ce jeu était juste une idée logique et tellement fun

  2. Tu t’embarques dans un sacré terrain PY 😅 Mais j’aime bien l’idée 👍 Il y a tout un tas de trucs à dire sur le sujet et cette introduction que tu nous proposes est bien menée.

    Évidemment, tout ce qu’on nous enseigne depuis petit n’est pas forcément faux, mais disons que c’est une vérité parmi tant d’autres, à travers un spectre, une perspective.

    Un mot me vient : l’école de la propagande. En vrai, dans notre société, la propagande utilise tout un tas d’outils (manuels scolaires, livres, vidéos) car il faut bien nous influencer, nous vendre une idéologie.

    Le jeu vidéo, tout comme plein de médiums, est instrumentalisé en ce sens. Il n’y échappe pas. À partir de ce constat, tu peux émettre des réserves sur tout et n’importe quoi 😉

    Moi je crois que ce sont surtout les joueurs qui écrivent l’histoire du JV. Ce sont eux qui font vivre les histoires, qui permettent aux travailleurs de toucher un salaire, ce sont eux qui décident du succès d’un jeu, grâce à leur porte-monnaie. Le mot de la fin nous reviendra toujours !

    1. Merci pour ton commentaire, Bruno !

      Personnellement, j’aime bien rendre les cadres de pensée assez clairs, histoire qu’on sache exactement d’où viennent les réflexions.

      Et oui, les joueurs prennent beaucoup de place dans l’histoire des JV !

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