Étude : quelle industrie du jeu vidéo en Belgique, quels leviers ?

Malgré des disparités et l'impact de la pandémie, l'industrie du jeu vidéo en Belgique est particulièrement dynamique.

Alors que j’étais tranquillement en train de travailler à mon bureau, mon sacrosaint café au ketchup du matin à la main, j’ai reçu une invitation pour un évènement organisé par la WALGA. Kézako, allez-vous me demander. Eh bien, la WALGA, c’est une association de promotion économique du jeu vidéo en Wallonie. Aujourd’hui, je vais vous parler une peu de ce qu’il se passe au pays du télescope TRAPPIST (oui oui, on a un télescope qui s’appelle TRAPPIST). C’est parti pour un dossier sur l’industrie du jeu vidéo en Belgique.

Quand croissance rime avec résilience

Industrie jeux vidéo Belgique
Baldur’s Gate 3 est développé par Larian Studios, un studio belge !

Comme vous le savez probablement déjà, l’industrie vidéoludique se porte plutôt bien, étant donné qu’elle garde son top 1, même en temps de Covid. De fait, de 2019 à 2021, elle est passée de 152,1 milliards à 180,3 milliards de dollars, donc un joli +20 % pendant une crise planétaire. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, le jeu vidéo a tout de même un peu pris sur la tronche, en particulier les évènements physiques. En 2020, l’E3 a notamment été annulé, ce qui a poussé certains à remettre sa viabilité à l’avenir et à souligner l’effet de ce genre de conventions sur le bilan carbone planétaire.

Les évènements eSport ont également été touchés, Blizzard ayant annulé les compétitions de la franchise Call of Duty. Cependant, la WALGA estime que le manque à gagner en raison de la crise Covid a été compensé grâce à la diffusion des compétitions en ligne. Le renforcement de la consommation des contenus streaming a d’ailleurs attiré un nouveau public, mais également de nouveaux annonceurs.

Industrie jeux vidéo Belgique
Petite carte des acteurs du monde de l’eSport en Belgique. Source : La DH.

Côté hardware, tout le monde le sait, c’est toujours la cata, avec une pénurie de composants dont on ne voit jamais le bout. On arrive aux limites du système capitaliste, dont le crédo reste la surconsommation, même en temps de pandémie. Si on regarde du côté de Sony, les PS5 ont été vendues à 19,2 millions d’exemplaires (chiffres datant du 31 mars 2022). De prime abord, on pourrait se dire que c’est un beau résultat, mais quand on regarde de plus près, on se rend compte que c’est la pire année de Sony depuis plus de 20 ans. Après, on ne va pas pleurer sur le sort du géant nippon, qui nous sort tout de même un petit 6,4 milliards d’euros de bénéfice net en 2021.

Comment se porte l’industrie du jeu vidéo en Belgique ?

Eh bien, avec ses 270 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, la Belgique s’avère plutôt vivace. On note cependant un petit retard de la Wallonie par rapport à la Flandre. De fait, on compte 19 studios de développement en Wallonie, 13 en région Bruxelles-Capitale et 82 en Flandre. La structuration de l’industrie du jeu vidéo en Belgique est un peu à la traine au sud du pays, mais certaines initiatives augurent de très bonnes choses !

Industrie jeux vidéo Belgique
Photo rare d’un développeur belge créant un prototype avec les moyens du bord. Source : Pixabay.

Des financements publics

La WALGA a bossé dur avec Wallimage, un fonds d’investissement dans le secteur de l’audiovisuel. Ainsi un joli plan de relance avec un budget de 4 millions d’euros a-t-il été lancé pour la période 2022–2024. Grâce à ça, des appels à projets ont pu être lancés, ce qui va permettre de financer par mal de jeux vidéo en Wallonie.

Grâce à mon métier de chercheur en game studies, j’ai d’ailleurs été contacté par le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel afin de rejoindre une commission dans le cadre d’un appel à projets pour le développement et prototypage de jeux vidéo web natifs, c’est-à-dire que l’on m’a demandé d’être jury pour l’octroi de subsides allant de 60 000 à 75 000 € à des studios de développement.

Industrie belge du jeu vidéo : Fishing Cactus
Fishing Cactus est un de mes studios préférés, et c’est belge !

Concrètement, le rôle du jury était de discuter des dossiers déposés par les studios, de discuter avec ceux-ci lors d’auditions, et de choisir les projets à financer. Selon moi, le gros point fort de ce projet a été son orientation culturelle et artistique. C’est ce genre d’initiatives qui va pouvoir structurer l’industrie vidéoludique et donner au média ses lettres de noblesse : le jeu vidéo, c’est de l’art. Vous pouvez découvrir les projets financés ici !

La WALGA et son pendant flamand la FLEGA travaillent depuis pas mal de temps main dans la main afin que le Tax Shelter soit élargi aux jeux vidéo. Le Tax Shelter, c’est un plan de défiscalisation des investissements dans le domaine de l’audiovisuel. Si vous voulez en savoir plus sur le lien entre le jeu vidéo et le domaine public, allez donc refaire un tour sur mon dossier L’industrie vidéoludique à la loupe : le domaine public et le jeu vidéo !

Des études, des certificats et des formations

Jeux vidéo et seniors
Le LGL proposait un cours en ligne gratuit sur les jeux vidéo.

Naturellement, ce qui va de pair avec le développement d’une industrie, ce sont les programmes d’apprentissage qui sont proposés sur un territoire donné. Et croyez-le ou non, la Belgique commence à être particulièrement bien positionnée de ce point de vue.

Premièrement, nous avons un bachelier professionnalisant à Namur, à la Haute École Albert Jacquard (HEAJ), considérée comme étant l’une des meilleures écoles de jeu vidéo au monde. D’ailleurs, en Belgique, on note un phénomène de fuite des cerveaux : les personnes que l’on forme sont recrutées par les studios internationaux. Sur cinq personnes formées, quatre s’en vont à l’étranger. Bref, on pèse dans le game.

Industrie jeux vidéo Belgique
Nanotale est le successeur spirituel d’Epistory.

Ensuite, l’année académique prochaine sera l’année de lancement d’un nouveau master, fruit d’une collaboration entre l’HEAJ et l’Université de Louvain-la-Neuve. Dans la même veine que les initiatives mêlant culture et art, cette formation va embrasser cette facette du média vidéoludique. Elle conjuguera apprentissage technique, mais également culturel et scientifique avec des cours bien ancrés en game studies, ce qui est très rare dans les filières professionnalisantes.

Enfin, à Liège, avec mon laboratoire de recherche sur le jeu vidéo, on organise un certificat « travailler avec la culture vidéoludique ».  Ce certificat s’adresse à toutes les personnes qui souhaitent mobiliser le jeu vidéo dans le cadre de leur travail, comme les journalistes, les animateurs et animatrices culturels, les bibliothécaires ou encore les enseignants. J’y donne moi-même des séances sur la localisation de jeux vidéo et la littératie vidéoludique critique.

Science et jeux vidéo

Industrie jeux vidéo Belgique
Faeria est une franchise belge du studio Abrakam !

Étant moi-même chercheur en game studies, je commence à bien connaitre le monde de la recherche en Belgique. Si je prends l’exemple de mon laboratoire, le Liège Game Lab, nous sommes passés de 6 membres en 2014, à 17 aujourd’hui. Nous comptons aussi bien des chercheurs et chercheuses belges que des membres en co-tutelle avec des universités de France. Nous recevons régulièrement des doctorants et doctorantes venant d’autres pays et provinces, comme le Québec. Le Liège Game Lab organise des évènements internationaux, comme Replaying Japan 2020, un colloque où scientifiques de tout bord se réunissent autour du jeu vidéo japonais.

Le LGL n’est pas le seul laboratoire qui se penche sur les jeux vidéo. On compte aussi le Louvain Game Lab à Louvain-la-Neuve, le Ludilab à Bruxelles, Mintlab à Leuven, ainsi que d’autres regroupements de centres de recherche comme Ludiverse, le LabJMV ou DIGRA Flanders. Bonne nouvelle pour la Belgique d’ailleurs, nous travaillons avec DIGRA Flanders pour fonder DIGRA Belgium, ce qui représenterait l’une des premières structures à unifier le Nord et le Sud dans le cadre de la recherche sur le jeu vidéo. Bref, la Belgique fourmille de personnes passionnées par le jeu vidéo.

Industrie jeux vidéo Belgique
Divinity II a également été développé par Larian Studio !

Outre les structures de pure recherche, la science semble également faire bon ménage avec le tissu associatif. Le LGL collabore souvent avec des associations pour créer des projets à destination des citoyens. Il y a quelques années, on a eu le projet LiègeCraft, où les participants au projet avaient pour objectif de recréer un quartier de Liège sur Minecraft, histoire que les habitants puissent se réapproprier leur ville. Et dernièrement, j’ai travaillé avec des collègues sur un projet en collaboration avec le CPAS de Liège (le centre public d’action sociale) dont l’objectif est de faire de la réinsertion sociale grâce au jeu vidéo.

L’eSport à l’horizon

Bientôt une salle comme ça en Belgique ? Source : Futura Science.

Aujourd’hui, il devient difficile de parler de jeux vidéo sans mentionner l’eSport. Bien que le domaine ait été affecté par la pandémie, il continue de susciter les convoitises, qu’il s’agisse des politiques ou d’entreprises qui investissent dedans. La Belgique ne fait pas exception, nous avons des fédérations d’eSport, comme la WalBru Esport au niveau communautaire, et la BESF au niveau fédéral.

La WALGA, ici aussi, s’est assez rapidement positionnée et collabore avec Activit-E, une ASBL qui a commencé à former les eSportifs et eSportives en herbe à partir de 2018. Un centre dédié a d’ailleurs ouvert ses portes à Mons, où une première formation sera organisée en 2022. Au programme : 20 jours d’apprentissage portant sur les besoins techniques, comme les régies, et abordant le community management. Ce centre mettra également du matériel à disposition d’équipes eSportives pour leurs entrainements. Bref, ça bouge, peu importe le domaine ! L’industrie du jeu vidéo en Belgique a un bel avenir devant elle !

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6 Responses

  1. La belgique est toujours numéro un dans le bon comme beaucoup dans le mauvais. Le truc c’est qu’après on nous vole les idées. partout où ça gagne il y a un belge derrière , ils sont juste dans l’ombre. En moto Gp si yamaha gagne c’est parce qu’il y a un belge dans l’équipe et que oué. Je pourrais faire joueur pro senior maintenant en E-sport, j’ai un niveau pas mal sans m’entrainer pour un vieux, je suis à 3 secondes du top 10 des temps mondiaux(sur un circuit mais je peux faire tous les autres) sur GT7 et je n’ai pas du matériel comme ils ont. Je n’ai pas de volant et pédalier fanatec. Si la marque me lit je ne suis pas contre l’envoi postal de ce matériel ^^

    On a la meilleure équipe de foot , ils ont le talent et pourtant vous verrez ils vont se faire étaler au Qatar.

    La belgique , ce pays extraordinaire où on se fait voler tous les mois sans jamais rien dire.

  2. Que dire si ce n’est très intéressant ? Ton article est passionnant et fait découvrir des tas de choses ! Je suis impressionnée de voir qu’il existe ce « certificat : travailler avec la culture vidéoludique ». J’adorerais qu’il y ait la même chose en France ! Tant de facettes différentes du jeu vidéo dans plein de domaines différents, c’est toujours fascinant.

  3. Super dossier ! Mine de rien mon cher P-Y c’est toi qui pèse dans le game 😉 Quel bonheur ça doit être pour toi de vivre toutes ces choses incroyables, d’être un acteur de l’industrie du jeu vidéo à ta façon.

    La Belgique a beaucoup de potentiel, je ne pensais pas qu’il existait autant de structures et un tel réseau de chercheurs dans le jeu vidéo.

    En passant, j’ai vu l’annonce sur Facebook bravo pour tes 100 articles ! Tu es une personnalité importante de JSUG ça c’est clair !

    1. Hey, merci Bruno 🙂

      Oui, j’avoue que vers 20 ans, j’avais fait mon deuil vis-à-vis de l’idée de travailler dans le monde du jeu vidéo, et aujourd’hui, je suis servi haha

      Côté réseau de chercheurs et chercheuses, sur Twitter, c’est assez ouf !

      Plus qu’à viser les 200 maintenant 😀

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