En février 2024, je vous proposais une interview de Michiyo, une fandubbeuse incroyable qui a chapeauté rien de moins que le doublage entier du jeu Kingdom Hearts 3. Dans les commentaires, notre bon Bruno54 s’est posé la question de savoir pourquoi j’étais celui qui s’était chargé de l’interview de Michiyo alors qu’Eric lui-même a sa propre série de machinima Eric Lafleur. Le doublage, c’est son dada après tout. Eh bien il s’avère que j’aime aussi beaucoup le doublage et le sous-titrage, qui font partie du domaine de la traduction audiovisuelle ! Nous allons voir ensemble en quoi consiste ce domaine dans le monde professionnel ! Cet article est le premier d’une série de trois, qui constitueront un tout sur la traduction audiovisuelle et les jeux vidéo. Aujourd’hui, parlons du sous-titrage !
La traduction audiovisuelle, un domaine qui date
Comme vous le savez probablement avec mes dossiers sur la localisation de jeu vidéo, je suis en train de faire une thèse de doctorat sur le sujet. Mon domaine d’expertise s’appelle la traductologie (translation studies en anglais), donc, la science de la traduction. La localisation de jeux vidéo est, pour le meilleur et pour le pire, un domaine de recherche en traduction audiovisuelle (audiovisual translation – AVT en anglais), donc tout ce qui confine aux formes de traduction qui touchent de près ou de loin à des films, séries, dessins animés et animés japonais, et bien sûr les jeux vidéo.
Une filiation entre jeux vidéo et films muets ?
Les questionnements sur l’AVT sont nés avec l’avènement du cinéma muet, puisqu’à l’époque, nous n’avions peut-être pas encore le son, mais nous avions l’image et les cartons. Les cartons, aussi appelés intertitres, ce sont les textes qui accompagnaient les films muets pour expliquer ce qu’il s’y passait et pour donner accès aux dialogues. À ce moment-là, c’était déjà très compliqué de réaliser des films, alors pour ce qui était des cartons, la traduction s’avérait non seulement couteuse par rapport à ce que les films rapportaient, mais également techniquement compliquée.
Personne ne savait vraiment comment procéder. Fallait-il rester fidèle à ce qui était noté sur les cartons ? Et si la traduction littérale ne correspondait pas tout à fait à ce que les spectateurs voyaient, que faisait-on ? En localisation de jeux vidéo aujourd’hui, on retrouve des pratiques très libres ; parfois des pans entiers des jeux sont réécrits pour que cela corresponde aux attendus culturels d’un public en particulier. Comme je vous en ai déjà parlé également, les cas de censure sont aussi nombreux, que ce soit en raison de sensibilités culturelles ou tout simplement de certaines législations nationales. Si l’on remonte au début du 20ème siècle, on remarque que les pratiques que l’on a aujourd’hui dans le monde du jeu vidéo sont en réalité héritées des débuts de l’AVT.
En 1920, on trouve déjà les premiers cas de censure ou de modifications profondes d’œuvres audiovisuelles. Dans Within Our Gates, film d’Oscar Micheaux sorti en 1920, l’un des dialogues avait été réécrit pour la version espagnole, parce qu’il contenait des insultes racistes. Il faut savoir que le film de Micheaux avait pour objectif de dépeindre la situation raciale aux USA, ce qui explique l’orientation des dialogues. Un autre film du début du 20ème, Where Are My Children? de Phillips Smalley et Lois Weber, a vu ses cartons complètement remaniés et réécrits. Ce film avait pour sujet l’avortement, lequel était relativement délicat à l’époque. Bref, les films étaient déjà réécrits afin qu’ils soient conformes à un public… Vous ne le saviez peut-être pas, mais ceci est un premier point de convergence important entre la traduction audiovisuelle et les jeux vidéo.
Autre point commun de la localisation des films muets avec les jeux vidéo : les principales inquiétudes portaient non pas sur la censure ou sur la circulation de la culture ; le cinéma, à l’époque, apportait déjà son lot de paniques morales, il n’était pas aussi légitime qu’aujourd’hui. Non, c’était surtout la technique qui inquiétait. Traduire les cartons et les réintroduire c’était compliqué, et cher, en particulier quand ceux-ci ne contenaient pas seulement du texte, mais aussi des illustrations. Même lorsque le cinéma parlant est apparu, pas d’Adobe Premiere ou de DaVinci pour remplacer les bandes audio ou faire des modifications de montage, c’était la galère.
C’était tellement la galère, en fait, qu’on ne s’embêtait pas à faire des doublages : à l’époque, c’était plus facile de changer les acteurs et actrices. Ainsi, chaque version linguistique disposait parfois de son propre cast, ce qui représentait un problème pour la visibilité des films. Imaginez, vous entendez parler d’Iron Man avec Robert Downey Junior, et dans la version française, ce n’est pas lui, mais Gad Elmaleh… Peut-être y repenseriez-vous à deux fois. Eh bien, à l’époque aussi, le public allait voir des films parce qu’il en appréciait certaines stars. Et ici se dessinent les deux domaines principaux de la recherche en traduction audiovisuelle : les cartons ont donné naissance à la pratique du sous-titrage, le cinéma parlant, à la pratique du doublage. Aujourd’hui, je vais vous parler principalement des sous-titres.
Sous-titrer, est-ce que c’est facile ?
Non, sous-titrer, ce n’est pas facile. Il existe d’ailleurs plusieurs types de sous-titres, qui intéressent absolument tous les chercheurs et chercheuses en traduction audiovisuelle. Premièrement, nous avons les sous-titres interlinguistiques, donc les sous-titres qui sont en fait des traductions et qui nous permettent de regarder un film ou de jouer à un jeu en VOST, même si l’on ne parle pas la langue d’origine. Ensuite, on a les sous-titres intralinguistiques, donc qui rendent peu ou prou de ce qui est dit dans la même langue. Et enfin, nous avons les sous-titres pour les malentendants (sous-titres SME), où l’on trouve des descriptions des musiques, bruits, etc., tout ça en plus des dialogues.
Ces sous-titres posent tout un tas de questions. D’un point de vue général, il faut savoir qu’on ne traduit pas des sous-titres comme on traduit des dialogues doublés : il faut prendre en compte des contraintes techniques différentes. Ça peut sembler contre-intuitif, mais en ce qui concerne le texte écrit, il présente l’avantage d’être compris plus vite que le texte oral. L’être humain lit assez vite, c’est d’ailleurs un processus que l’on pense automatique. Quand c’est de l’audio, il faut attendre que toutes les paroles soient prononcées et maintenir son attention plus longtemps. Mais l’être humain n’est quand même pas une machine. Il y a des limites à sa vitesse de lecture, on ne doit donc pas mettre trop de texte à l’écran.
Et là, on arrive au désavantage du texte : il détourne le regard. Si l’on devait décrire le cinéma, on parlerait probablement d’abord des images qui bougent. Le texte, s’il se retrouve devant ces images qui bougent, ça devient embêtant. Donc les traducteurs et traductrices doivent traduire parfois trois lignes de dialogue et les condenser en une, ce qui explique pourquoi il arrive que vous entendiez un personnage parler longtemps, mais que le sous-titre est beaucoup plus court. Et c’est ici qu’on arrive à un autre problème (oui, encore un autre) : un sous-titre trop court par rapport aux paroles prononcées, même s’il rend bien l’idée générale, dérange le public !
Pour résumer, un sous-titre ne doit pas être trop long parce qu’il y a une limite de place et que les gens ne peuvent pas lire à la vitesse de la lumière, mais il ne doit pas être trop court non plus, sinon les spectateurs ont l’impression que quelque chose ne va pas. Sous-titrer, c’est à la fois se concentrer sur ce qui est dit, mais aussi sur la perception de ce qui est dit. Les deux questions principales que l’on se pose quand on traduit des sous-titres, c’est donc : « Est-ce que ce que je dis est correct ?» et « Est-ce que ce que je dis va être perçu comme correct ? ».
Ce qui est drôle, c’est que dans les jeux vidéo, tout le monde fait à sa sauce. Là où la pratique de sous-titrage est très normée et codifiée dans la traduction audiovisuelle professionnelle de films, de séries, etc., dans le jeu vidéo, les développeurs ne savent généralement pas trop quoi en faire. Alors on se retrouve avec des romans qui occupent tout l’écran en plus de l’interface de jeu. C’est illisible, on voit rien, c’est une catastrophe. Traduction audiovisuelle et jeux vidéo ne font pas toujours bon ménage…
Les sous-titres interlinguistiques
Là, on touche à la langue et à la culture. Quand on traduit d’une langue dans une autre, il y a plein de choses à prendre en compte. Premièrement, les sous-titres sont du texte écrit, mais qui rendent du texte oral. Vous le savez peut-être, mais on ne parle pas comme on écrit. À l’oral, nous avons énormément de tics de langage, d’accents, d’hésitations. Qu’est-ce qu’on en fait dans les sous-titres ? On n’a déjà pas beaucoup de place, alors va-t-on décider de retranscrire les multiples « euh » et autres « du coup » en bas de l’écran ?
Et que fait-on des accents ? Des blagues ? Des références culturelles ? Si l’on n’a déjà pas la place d’écrire les dialogues en entier, il n’est probablement pas possible d’ajouter du texte pour expliquer une blague ou une référence. C’est la raison pour laquelle on note le phénomène que je vous décrivais dans mon dernier article sur la localisation : on neutralise. On masque les accents, on retire les références, on adapte, on altère, on réécrit. Après tout, tant que le retour sur investissement est là, pourquoi s’en faire ? La culture, on l’envoie dans le mur, dans le milieu professionnel à tout le moins.
Le fait est que les pratiques de localisation et de traduction d’aujourd’hui, bien que l’industrie de l’audiovisuel les présente comme répondant à un besoin, forgent les habitudes des consommateurs et consommatrices. À force de consommer des produits dont les autres cultures sont évincées, on s’habitue à la forme et au contenu de ces produits. L’industrie nous dit que le public ne veut pas de culture, qu’il ne dispose tout simplement pas des ressources intellectuelles et cognitives pour en gérer la présence, mais la recherche nous dit autre chose ! C’est la triste réalité de la traduction audiovisuelle appliquée aux jeux vidéo.
Il existe quelques études qui vont à rebrousse-poil des pratiques communément acceptées, et montrent qu’il serait tout à fait possible de conserver toute une série de références culturelles et de les expliquer par le biais de ce que l’on appelle des surtitres. Les surtitres apparaissent en haut de l’écran dans une police d’écriture différente. Les travaux d’Alexander Künzli et de Maureen Ehrensberger-Dow sont absolument passionnants. Ils ont décidé de remettre en question les pratiques actuelles et de tester de nouvelles choses. Ainsi, dans une œuvre audiovisuelle traduite, ils ont non seulement conservé des références culturelles, mais ils les ont surtout expliquées, de même que certaines blagues reposant sur des éléments de culture.
En gros, pendant le film, les sous-titres rendaient les dialogues, tandis que les surtitres venaient enrichir la compréhension des spectateurs et spectatrices. Les résultats de l’étude ont montré que, naturellement, lire ces surtitres demande un peu plus d’efforts que de lire les simples sous-titres, mais surtout que cela n’empêchait nullement les gens de profiter du film. Au fil du temps, il serait même possible de s’habituer à ce genre de pratiques, et ainsi d’apprendre à connaitre d’autres cultures sans que l’effort ne soit forcément pénible.
Et dans le jeu vidéo, c’est pareil. La plupart du temps, les références sont supprimées ou adaptées. Pas d’inquiétudes, il existe tout de même des Ovnis. Mother 3 est un jeu développé par Brownie Brown et HAL Laboratory sur Game Boy Advance. Il s’agit à l’origine d’un jeu japonais qui ne disposait d’aucune version française. Alors, des fans se sont insurgés et ont décidé de prendre les choses en main. Le jeu a été traduit en français d’une manière totalement différente et innovante par rapport à l’industrie professionnelle. Les références culturelles ont été conservées et expliquées, de même que les blagues, les types de nourriture, etc. Cette différence de pratique entre le milieu professionnel et les communautés de fans s’explique aisément. Ces derniers ne sont généralement pas limités par un besoin de retour sur investissement. Il existe beaucoup d’exemples dans le monde du jeu vidéo qui sont totalement différents de ce que l’on a l’habitude de voir.
Les sous-titres intralinguistiques
Comme je vous l’ai dit, les sous-titres intralinguistiques sont une retranscription écrite de ce qui est dit par les personnages dans une même langue. Ce genre de sous-titres est extrêmement courant dans les jeux vidéo. En effet, beaucoup de joueurs et de joueuses activent les sous-titres, même quand le jeu est doublé. Avec tout ce qui se passe dans le jeu, ne serait-ce qu’avec les bruitages, c’est parfois difficile de suivre les dialogues. Comme je vous l’ai dit un peu plus tôt, lire du texte, ça demande moins d’efforts que de l’écouter ; c’est tout vu ! Personnellement, activer les sous-titres est généralement la première chose que je fais quand je commence à jouer à un jeu.
Les sous-titres intralinguistiques sont d’ailleurs considérés comme une bonne pratique dans le milieu de l’audiovisuel en général. Sur YouTube, on retrouve beaucoup de communautés qui sous-titrent les vidéos de leurs Youtubers préférés afin que les vidéos soient accessibles au plus grand nombre. Cette pratique aide non seulement les malentendants, mais également les personnes ayant des handicaps cognitifs qui ont du mal à suivre une vidéo en raison du trop-plein d’informations visuelles ou auditives.
Les sous-titres intralinguistiques font partie des mesures considérées comme étant la base de l’inclusivité dans le jeu vidéo. Il existe un guide des bonnes pratiques à l’initiative de développeurs et développeuses, ainsi que des spécialistes en accessibilité. À l’origine du projet, on retrouve par exemple Gareth Ford-Williams, ancien spécialiste accessibilité de la BBC. Bref, du beau monde !
Les sous-titres pour malentendants
Parler d’accessibilité, cela nous amène au dernier type de sous-titres dont je vous ai parlé plus haut : les sous-titres SME (les sous-titres pour sourds et malentendants). C’est notamment grâce à cette pratique que l’on sait que le surtitrage est possible. En effet, dans le cas des pratiques pour SME, outre les dialogues, on va retrouver une pléthore d’informations supplémentaires. Les rires ou les soupirs sont écrits, on donne des informations sur la musique (est-elle triste, joyeuse, inquiétante ?) et sur les bruits.
Pour faire passer toutes ces informations, les surtitres sont très pratiques. En plaçant le texte sur le dessus de l’image et en en changeant généralement la police d’écriture, on donne une information précieuse au public : ceci n’est pas du dialogue. Savoir différencier directement les dialogues des informations supplémentaires participe énormément au confort de visionnage. Une fois l’habitude prise avec certaines conventions, les spectateurs et spectatrices n’ont plus du tout besoin de se poser de questions quant aux informations contenues dans le texte.
Mais quel est le rapport avec la traduction audiovisuelle dans les jeux vidéo, me demanderez-vous ? Eh bien c’est simple, c’est aussi de la traduction. Classiquement, nous avons tendance à penser que la traduction concerne uniquement le transfert du sens d’une langue à l’autre, mais c’est aussi parfois le transfert du sens entre des langages, comme le langage de l’image, du son, etc. Les questionnements sont peu ou prou les mêmes que pour la traduction classique. Que dois-je rendre ? Quels sont les éléments les plus importants pour l’expérience de visionnage ? Bref, dès que l’on parle de traduction, toute situation de transfert de sens peut s’appliquer, ce qui signifie que tout le travail qui a déjà été fait dans la recherche en traduction peut aussi servir de terreau à des réflexions plus larges. Elle est pas belle la vie ?
Sources :
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5 Responses
Justement dans shantae 1/2 Genie Hero, en lisant les textes, il y a des mots qui manquent, des fautes de français, de grammaire. On dirait que ça a été traduit avec les fesses ^^. Alors sur youtube, vaut mieux éviter de mettre les sous-titres pour traduire l’anglais parce que là, tu vas rien comprendre du tout, à moins d’avoir un cerveau capable d’analyser les incohérences.
Même dans des jeux comme God of War Ragnarok, tu retrouves des soucis de localisation, comme des lignes de code qui restent dans le texte. C’est assez drôle à voir.
Quand t’as une formation en traduction, tu peux assez facilement deviner ce qui a foiré. Dernièrement, je suis allé voir Godzilla Minus One en version japonaise sous-titrées français. Juste à voir les sous-titres, je pouvais dire que les dialogues du film ont été traduits du japonais à l’anglais, et puis de l’anglais au français.
À un moment, t’as un personnage qui regarde une petite fille et lui demande « Pourquoi tu regardes si tristement ? ». Clairement, ça vient d’une traduction littérale de l’anglais « Why do you look so sad? », ce qui se traduit par « Pourquoi as-tu l’air si triste ? » (regarder des films avec des traducteurs, c’est un enfer haha).
C’était le début du jeu dans Shantae, la fin du jeu ça va mieux,étant sur la fin. Dans les films , je regarde les lèvres des acteurs, parfois il y a un décalage, ça tu en avais déjà parlé ^^
Je m’attendais pas du tout à être mentionné dans ce dossier 🤣 Jte jure j’ai buggé pendant quelques secondes 🤣
Hâte de découvrir la suite de ce dossier en tout cas, tu nous fais toujours découvrir des choses auxquelles on ne pense pas !
Merci Pierre-Yves pour cet article, j’y ai découvert plein de notions et questionnement qui m’étaient inconnus.
Effectivement, je fais aussi parti de ceux qui activent les sous titres, même en franco français.
Ça va plus vite de lire, ça permet par exemple de passer des dialogues pas très intéressant tout en captant le sens complet.