Il s’avère que dernièrement, j’ai changé de métier : je suis désormais professeur-chercheur à la Haute École Albert Jacquard, en Belgique. Prof de quoi ? Allez-vous me demander. Eh bien… Je suis devenu prof de localisation de jeux vidéo et de game design pour les futurs développeurs, game artists, tech artists et, naturellement, game designers. Du coup, je suis amené à analyser des jeux existants dans le cadre de mes enseignements. Et si je profitais de ma preview d’Hyper Light Breaker pour vous parler de game design ? Dans ce dossier, j’aborde les difficultés de conception liées à l’onboarding et aux open worlds.
Onboarding, ou prendre les joueurs par la main
Commençons par définir ce qu’est un onboarding et les bonnes pratiques qui l’entourent. Littéralement, on pourrait dire qu’onboarding signifie « embarquement ». Dans le contexte du game design, il s’agit du processus d’intégration des joueurs : le fait de les prendre par la main, de les introduire progressivement aux mécaniques de jeu, à l’univers fictionnel…

Mais… c’est donc un tutoriel, allez-vous me rétorquer, choqués et déçus par ce terme de jeune cadre dynamique. Eh bien… pas tout à fait. Le tutoriel se réfère à une partie du jeu dédiée où les joueurs s’essayent aux différentes mécaniques. L’onboarding, lui, dépasse ce cadre. Il s’agit de construire une expérience ludique qui aide le joueur à prendre en main les mécaniques, à s’adapter à une difficulté croissante, à comprendre ce que le jeu récompense, ce qu’il punit, le sens de la vie, etc.

Un bon onboarding repose sur le principe de redondance : faire expérimenter aux joueurs des éléments ludiques dans différents contextes pas trop punitifs. Portal 2 est un cas d’école de ce point de vue là. En effet, le gameplay y est épuré à souhait, et toutes les mécaniques clés sont introduites dès le départ dans un environnement sans danger. Le jeu introduit un élément, récompense son utilisation, ne punit pas les joueurs, et recommence jusqu’à ce qu’ils aient tous les outils pour avancer tranquillement.
Dans ma preview d’Hyper Light Breaker, j’ai un peu (beaucoup) souffert. D’abord, on vous lâche sans cérémonie. Pas de séquence d’introduction, pas de tutoriel : vous êtes dans un hub, bombardé de gros chochins de texte (pardon my belge). Ensuite, on vous balance dans une sorte d’open world où l’on se fait dégommer la tronche. De manière générale, les textes à rallonge en guise de tutoriel sont considérés comme inélégants et inefficaces en game design. Dans un médium « interactif » comme le jeu vidéo, on préférera toujours l’apprentissage par la pratique, pratique d’autant plus importante si l’on veut placer les joueurs dans un environnement en monde ouvert.
Open world et onboarding
Créer un open world requiert un certain doigté. On peut proposer un level design intelligent et progressif comme dans Zelda: Breath of the Wild, avec un jeu qui vous montre d’abord les choses qui doivent attirer votre attention, et qui vous amène à les expérimenter ensuite de manière bienveillante. On peut aussi verser dans l’apprentissage à la dure, comme dans Elden Ring, où vous apprenez à faire attention à grands coups de latte dans la gueule, où le jeu vous fait comprendre que c’est de votre faute : t’arrête de te plaindre et tu git gud maintenant ! Après tout, certains ont fini le jeu en slip avec des bananes en guise de manette. En vérité, il n’existe pas de modèle qui soit meilleur qu’un autre : tout dépend de l’objectif du designer.
Zelda: Breath of the Wild et son onboarding
Le début de Zelda BotW est exemplaire d’un point de vue game design et onboarding. En effet, l’une des choses que vous voulez accomplir en tant que designer dans un jeu, c’est vous assurer que vos joueurs entrent en contact avec vos features et mécaniques de base, qu’ils les comprennent, et enfin, qu’ils les intègrent. Plusieurs choix s’offrent à vous. Les solutions les moins élégantes sont généralement de forcer les joueurs à accomplir certaines actions, ou de proposer des gros chochins de texte qui vous expliquent toutes les mécaniques à la manière d’un manuel d’utilisation.

BotW fait le choix très intelligent de restreindre l’espace de jeu en début de game, c’est-à-dire qu’il enferme les joueurs dans une grotte avec somme toute assez peu de possibilités ludiques. Cette restriction de l’espace permet en réalité d’avoir plus de contrôle sur leurs actions sans que ceux-ci n’aient l’impression d’être réellement limités. L’environnement de la grotte semble naturellement contraignant ; personne ne se pose vraiment de question.
L’un des points les plus importants pour que le plaisir ludique puisse se déployer, c’est que les joueurs se sentent libres. Pour qu’ils ressentent cette liberté, il faut que :
- Cette liberté soit perçue (même si elle n’existe pas vraiment),
- Que les contraintes ludiques ne soient pas trop visibles, ou à tout le moins qu’elles ne paraissent pas forcées.
La grotte de BotW est en fait une excuse perçue comme naturelle par les joueurs et qui permet de restreindre les possibilités d’action. On s’assure que toutes les features de base vont bel et bien être expérimentées sur une période donnée.

Une fois les features de base expérimentées, on peut introduire des mécaniques plus complexes graduellement. Cette manière de faire permet ce que l’on appelle en UX la progressive disclosure (divulgation progressive), c’est-à-dire l’introduction petit à petit des fonctionnalités d’une application ou d’un jeu. BotW vous fait d’abord vous déplacer, bouger la caméra et analyser des objets dans l’environnement. Cette manière de procéder permet deux choses très importantes. Premièrement, vous évitez de surcharger cognitivement la mémoire de travail des joueurs (si on leur présente 37 mécaniques en même temps, ils ne retiennent pas tout). Deuxièmement, cette technique réduit passablement le niveau de frustration, puisque la limitation des possibilités d’action réduit les risques d’erreurs. Une fois ces différentes mécaniques expérimentées, le jeu vous présente la Tablette Sheikah, et vous laisse sortir.
La toute première zone du jeu à la sortie de la grotte n’est toujours pas un monde ouvert à proprement parler, bien qu’elle en ait tous les atours. Les joueurs se trouvent en haut d’une montagne dont les flancs sont concrètement des falaises mortelles. Pour quitter cette zone, il leur faut débloquer le deltaplane, pour lequel ils doivent accomplir différentes tâches. Mais, qu’avons-nous là ? Si vous avez suivi, vous aurez remarqué qu’il s’agit là d’une autre manière facile de limiter l’espace dans lequel les joueurs évoluent sans qu’ils ne le remarquent ! Vu la douleur glutéale insoutenable causée par une chute vertigineuse du haut d’une marche d’escalier, on comprend aisément les dégâts potentiels en tombant d’une falaise. Il n’y a pas de mur, les joueurs ont vue sur une map immense, mais ne sont toujours pas véritablement libres de leurs mouvements. Peu importe si le monde est réellement ouvert ou non, tant qu’il est perçu comme tel, c’est gagné.

Lors de la sortie de la grotte, la caméra montre le monde d’Hyrule, switche ensuite sur une église et sur un feu de camp. Le seul chemin accessible oblige d’ailleurs les joueurs à passer par ces points. Aux alentours du feu de camp se trouve une souche d’arbre avec une hache plantée dedans. Cet arrangement a pour objectif de pousser les joueurs à essayer de couper du bois sans forcément leur détailler cette possibilité ouvertement. Un peu plus loin, ils rencontrent leur premier ennemi, un Bokoblin presque sans défense sur lequel ils peuvent se faire la main sans trop de danger. Ensuite, la difficulté augmente progressivement, et les joueurs expérimentent les mécaniques de combat dans différents contextes. Bref, l’onboarding de Zelda est l’un des meilleurs que j’ai jamais vus.
L’onboarding de Hyper Light Breaker
Hyper Light Breaker, lui, vous envoie directement dans un hub sans introduction. Le jeu vous explique vite fait les touches et vous dit qu’il y a des ressources… sept types de ressources différentes… oui, sept ! Certaines sont temporaires, d’autres non, d’autres sont semi-temporaires, certaines s’obtiennent en battant des mobs, d’autres en battant des boss, d’autres plus ou moins aléatoirement, d’autres se débloquent en dansant nu à la pleine lune au milieu de douze statuettes enroulées dans du jambon. Bref… On ne comprend rien. Or, dans un rogue-lite, comprendre la manière dont on peut améliorer durablement son personnage est indispensable, puisque c’est l’une des clés pour venir à bout du jeu. En d’autres mots, c’est frustrant et plutôt inefficace.

Ressources et progression
Si la frustration est un ressort de game design comme un autre, on fait généralement la différence entre deux types. La skill-based frustration, donc basée sur les compétences des joueurs, et la design-based frustration, fruit interdit d’un design mal branlé. Dans Hyper Light Breaker, c’est au cours des nombreux runs du jeu que les joueurs vont comprendre l’utilité respective des ressources. Idéalement, un élément ludique de type ressource doit être aisément compréhensible et utilisable, puisqu’il ne repose pas sur une quelconque forme de skill. Bref, l’introduction particulièrement claquée aux ressources d’Hyper Light Breaker est un défaut de design.

Outre ces ressources, le jeu les introduit aux vendeurs : des PNJ qui vous proposent des améliorations, des armes de corps-à-corps, des armes à feu ou des « holoctets », c’est-à-dire des perks permettant d’augmenter les stats de l’avatar ou d’ajouter/modifier des mécaniques de jeu. Ces holoctets s’obtiennent chez les vendeurs, sur des mobs, des boss ou par terre dans le « Foisonnement » (le monde dans lequel on affronte les ennemis).

Ces vendeurs se débloquent et s’améliorent grâce à des ressources particulières, ce qui signifie que si les joueurs n’ont pas compris comment obtenir certaines ressources, ils n’ont aucune idée des objets vendus, fussent-ils des armes ou de bons produits du terroir. Sans cet équipement, il est difficile d’obtenir des ressources, puisque la difficulté du jeu et son onboarding défaillant ne favorisent pas une bonne progression sans les avantages offerts par les vendeurs. Révéler progressivement des boutiques ne serait pas un problème en soi si le reste de l’onboarding était bien fait. Bref, en l’état, c’est un serpent qui se mord la queue.
Open world dans un rogue-lite ? Le guidage dans la tourmente !
À la suite des textes qui expliquent quelques mécaniques de jeu, sans plus de cérémonie, les joueurs sont lâchés dans la partie dangereuse d’Hyper Light Breaker. Rogue-lite oblige, il sera question de faire et de refaire des runs jusqu’à venir à bout de tous les boss. Le jeu démarre, on leur tape une épée en main, et c’est parti pour une balade dans une sorte d’open world. Introduire un open world dans un rogue-lite est un choix osé. Ce concernant, plusieurs choses peuvent être soulignées.

L’obstacle principal à l’intégration d’un open world, c’est la contradiction claire entre, d’une part, l’importance du guidage dans les jeux vidéo, et d’autre part, le besoin de liberté inhérent à cette feature. Un monde ouvert doit généralement être très soigneusement designé. Dans Zelda BotW, par exemple, tout a été pensé pour attirer l’attention, pour qu’il y ait toujours quelque chose à faire, et que ces activités soient visibles.
La nécessité de guider les joueurs dans les open worlds a donné naissance à différentes théories de game design. Par exemple, il est de plus en plus communément admis que, dans un monde ouvert, il faut espacer les activités possibles d’un maximum de 40 secondes. C’est-à-dire que, peu importe où ils se trouvent, les joueurs doivent mettre 40 secondes ou moins pour atteindre un point d’intérêt, qu’il s’agisse d’une ruine à visiter, d’un objet à récolter, d’une flash mob dans les escalators de Châtelet ou d’une quête secondaire. On appelle ça la règle des 40 secondes, généralement attribuée au studio CD Projekt RED lors du développement de The Witcher 3.

Outre la règle des 40 secondes, on pense classiquement les open worlds comme des parcs d’attractions. Vous avez déjà visité Disneyland Paris ? Peu importe où vous vous trouvez, un élément de décors ressort et sert de guide pour non seulement attirer votre attention, mais également servir de point de repère dans le parc. Zelda BotW repose sur le même fonctionnement. Le monde de BotW est en fait constitué de triangles.

Le triangle a cela d’intéressant qu’il peut à la fois obstruer la vue, dévoiler des choses graduellement et avoir un point élevé pouvant être repéré de loin. Comme dans un parc d’attractions, la cime du triangle vous guide et attire votre attention, tandis que le gros de la forme vous invite à l’exploration. Alliez ce design de parc d’attractions et la règle des 40 secondes, et vous obtenez ce que Nintendo appelle la « gravité » (重力 – juuryoku), théorisée pendant le développement de BotW. Les joueurs sont attirés par les points d’intérêt, un peu à la manière dont fonctionne la gravité dans sa réalité physique.
Cette idée de gravité souligne l’envie des game designers d’avoir une expérience ludique aussi naturelle que possible. Il ne s’agit pas de donner des directives claires, mais bien de laisser le choix de l’itinéraire et des endroits à explorer. En contournant les triangles qui constituent l’environnement, les joueurs découvrent de nouveaux éléments qui attirent l’attention. Ils choisissent ensuite de les investiguer ou non. Bref, tout est pensé pour fournir une expérience qui semble organique.
Génération procédurale des open worlds
Ces règles sont principalement applicables pour des open worlds fixes, puisqu’ils peuvent être stratégiquement aménagés. Seulement voilà, le monde d’Hyper Light Breaker n’est pas du tout fixe, ce dernier est généré procéduralement. La génération procédurale est une méthode algorithmique permettant de créer des contenus variés (environnement, personnages, caractéristiques, etc.), et ce de manière dynamique et automatique plutôt que manuelle. Cette méthode présente plusieurs avantages et inconvénients.
Concernant les avantages, ils sont plutôt intuitifs. La création des environnements reposant principalement sur la machine, il est possible de proposer des niveaux différents à chaque partie, ce qui augmente drastiquement les possibilités d’exploration du côté des joueurs. Eh bien oui, si le monde change à chaque partie, ils ont toujours l’impression de découvrir des choses : l’exploration est virtuellement infinie. Et du côté des studios, il s’agit d’une méthode qui réduit fortement les coûts et le temps de développement, puisque ce ne sont plus seulement les level designers qui conçoivent les niveaux…

Par contre, tout n’est pas rose non plus. La génération procédurale entraine des « effets secondaires » et demande une intégration particulière. Cette génération est partiellement aléatoire et peut donc causer des résultats imprévus. Si on génère des caractéristiques aléatoires à des armes ou des armures, certains objets peuvent casser le jeu parce que totalement pétés vis-à-vis de l’équilibrage. Dans le cas des environnements, il peut arriver que des zones s’agencent mal, soient inaccessibles, ne soient pas esthétiques, etc.
Pour éviter ces problèmes, il est nécessaire de poser des règles de génération assez rigoureuses. Pour un générateur de donjons, on peut par exemple imaginer une règle disant que chaque pièce doit être reliée par au moins une porte, pour éviter que certaines zones ne soient complètement inaccessibles. En amont, il faut également penser le placement des récompenses, des ennemis et autres points d’intérêt pour éviter tout déséquilibre. Bref, la génération procédurale n’est pas toujours des plus faciles à intégrer.
Pourquoi la génération procédurale dans Hyper Light Breaker ?
Hyper Light Breaker est un rogue-lite. Un rogue-lite est un genre de jeu vidéo inspiré de Rogue (1980), caractérisé par la génération procédurale des niveaux, la mort permanente obligeant à recommencer depuis le début à chaque défaite, l’exploration de donjons et une progression basée sur des améliorations et objets trouvés au fil du jeu. Étant donné que les joueurs recommencent depuis le début à chaque mort, il faut absolument apporter une forme de diversité aux parties, d’où l’attrait de la génération procédurale.

Le titre opte pour une zone de jeu open world en 3D, mais générée procéduralement, et ce tous les quatre runs. Dans Hyper Light Breaker, la génération procédurale du terrain ne se résume pas non plus à placer des éléments au hasard : elle repose sur un équilibre entre contraintes mathématiques et direction artistique. Pour façonner chaque carte, le moteur doit non seulement sélectionner quels objets intégrer, mais aussi appliquer des règles d’interaction précises entre ceux-ci.

Pour ce faire, Heart Machine a développé Hyperfabs, un outil propriétaire permettant de réutiliser efficacement les assets graphiques et de structurer ces mondes générés dynamiquement. Le placement des éléments de la carte joue un rôle crucial. Le level design n’est pas seulement horizontal, il intègre aussi de la verticalité, qui demande une logique de design un peu différente. Les environnements sont constitués de plusieurs îles abritant chacune un certain nombre de points d’intérêt comme des coffres, des armes, des accessoires ou encore les zones de boss. Il faut que toutes ces zones soient assez intéressantes, accessibles et relativement esthétiques. Les zones où la terre et l’eau se touchent, par exemple, doivent toujours garantir un moyen de remonter sur la terre ferme.
Outre les zones sur lesquelles les joueurs peuvent marcher, il faut également placer des éléments de décors : des rochers, des arbres, etc. Un autre outil a donc dû être développé pour identifier automatiquement les zones plates de la map, facilitant ainsi l’ajout de ces éléments sans qu’ils ne se superposent n’importe comment. Les ressources se trouvent généralement non loin des zones denses en termes de richesse des décors, ce qui permet de créer dynamiquement des points d’intérêt. Tout ceci ne donne cependant pas un level design complètement harmonieux comme celui d’un open world fixe.
Aléatoire et open world
Là où Zelda BotW compense l’ouverture de son open world en début de jeu en limitant l’espace pour garantir le processus de progressive disclosure dont je vous ai parlé tout à l’heure, Hyper Light Breaker vous lâche directement dans un open world dangereux sans plus de cérémonie. Le côté rogue-lite nécessitant une forme d’aléatoire, les points d’intérêt apparaissent en aléatoire (que je soupçonne semi-contrôlé) sur la map, de même que votre point de spawn. Difficile dans ces conditions de réellement avoir la main mise sur l’environnement des joueurs, même en début de game.

On sent d’ailleurs que les game designers étaient conscients du problème, puisqu’au début du premier des quatre runs, ils placent les joueurs dans une petite zone constituée d’un long couloir, d’un obstacle au-dessus duquel sauter, et d’un objet à ramasser sur le sol. Au bout du couloir, on prend un ascenseur et ensuite, on se débrouille. Cette petite zone s’avère insuffisante pour expérimenter les mécaniques en toute sécurité et ne constitue pas un onboarding satisfaisant.

Une fois en haut de l’ascenseur, il faut aller jeter un œil aux points d’intérêt indiqués sur notre map. Pour forcer les joueurs à explorer, Heart Machine a opté pour une solution assez peu élégante : les forcer à regarder les points d’intérêt s’ajouter un à un sur la map. Cette manière de faire n’est pas très organique et donne un côté coercitif que je trouve peu compatible avec la logique d’un open world. Cette manière de faire témoigne d’une tentative de contrer la confusion potentiellement entrainée par le placement aléatoire des points d’intérêt sur la map. On peut dès lors se poser une question qui contient sa réponse en son sein : quel est donc l’intérêt d’intégrer de l’aléatoire si on dévoile tout aux joueurs dès le départ ?
Ceci n’aurait pas été un trop grand souci si les features n’entraient pas en contradiction les unes avec les autres. Ainsi, la complexité mécanique des ressources et de la progression, alliée à l’aléatoire et à l’open world, donnent une recette déséquilibrée. Si le jeu était plus facile et qu’il permettait aux joueurs d’expérimenter tranquillement, cela pourrait être un moindre problème, mais le fait est que le jeu est difficile… Très difficile…
Expérimenter pour mieux jouer
Non seulement on ne comprend rien aux ressources, ni même à l’utilité des différents points d’intérêt, mais le jeu ne laisse pas de répit pour faciliter l’appréhension de son monde et de sa logique, pour gagner en skill, ou pour augmenter la puissance de l’avatar, trois choses qui sont indispensables pour progresser dans le jeu.

Parlons par exemple des ennemis trop puissants et de la mort permanente. Hyper Light Breaker est extrêmement punitif, puisque toute mort renvoie l’avatar dans le hub de départ. Retourner dans le « Foisonnement » prend du temps, ce qui ajoute à la frustration de la mort. Ce côté chronophage n’encourage pas à affronter les mobs, puisque chaque mort est une perte de temps et d’énergie considérable.
Pour pouvoir affronter les mobs, deux possibilités s’offrent aux joueurs : gagner en skill ou rendre leur avatar plus puissant. Si vous vous souvenez, gagner en skill sans trop de frustration n’est possible que dans un environnement relativement safe, ou qui présente à tout le moins une difficulté progressive, ce qui n’est pas le cas dans Hyper Light Breaker. Pour contrebalancer le danger du « Foisonnement », il faudrait pouvoir améliorer l’avatar. Seulement voilà, rendre l’avatar plus puissant est compliqué, puisque cela nécessite des ressources, dont, je vous le rappelle, le fonctionnement est très opaque. En outre, ces ressources se gagnent en combattant. Or, la mort est tellement punitive dans le jeu que les nouveaux joueurs tendent à éviter les combats pour pouvoir comprendre le système de progression. Vous commencez à comprendre le problème ?
Apprendre à combattre
Les combats sont difficiles à appréhender pour plusieurs raisons. Ils reposent sur la qualité de l’équipement, dont le fonctionnement n’est pas plus clair que celui des ressources. Pour comprendre l’avantage offert pour certaines pièces, il faut combattre, mais combattre, c’est compliqué et punitif. Ensuite, si l’on se penche sur le développement du skill, Hyper Light Breaker n’est pas très facile à lire.

Le système de combat repose sur un système d’esquive et de parade. Maitriser ces mécaniques est indispensable pour progresser dans le jeu et espérer pouvoir battre les boss. Seulement voilà, en début de game, l’avatar meurt en 3-4 coups. Essayer de parer présente de gros risques, puisque la mort est synonyme de longues minutes pour revenir en jeu. Ceci ne serait pas non plus un problème s’il y avait une mécanique de heal fonctionnelle dès le départ…

Ai-je mentionné qu’à la base, le jeu n’expliquait pas comment se heal ? Eh bien oui, avant la mise à jour du 23 janvier 2025, les joueurs commençaient le jeu sans moyen de se soigner. Pour pouvoir y avoir accès, il était nécessaire de remarquer qu’il fallait ajouter un point de talent auprès d’un PNJ grâce à l’une des ressources obscures du jeu. Les joueurs avaient donc en moyenne 4 coups à chaque run pour s’entrainer à parer et à esquiver. Et même lorsqu’ils débloquaient la mécanique de soin, celle-ci était tellement coûteuse qu’ils évitaient de l’utiliser. Heureusement, le système de heal a fait l’objet d’une refonte.
Le problème posé par le manque de heal était aussi exacerbé par le manque de lisibilité des attaques ennemies. Connaissez-vous le principe de télégraphe en game design ? Il s’agit de préparer une animation particulière lors des attaques ennemies permettant aux joueurs de comprendre à la fois qu’ils vont être attaqués, mais aussi quelle sera ladite prochaine attaque. Ce principe vient des arts martiaux.

Dans un combat IRL, télégrapher ses attaques est généralement une mauvaise idée, puisque cela donne le temps à votre adversaire de se préparer à esquiver et à contre-attaquer. Dans les jeux vidéo, la lisibilité des attaques ennemies est cruciale pour que les joueurs puissent apprendre les patterns des attaques des mobs. Dans Hyper Light Breaker, certains télégraphes sont très difficiles à lire, notamment ceux des wolves, des sortes de loups de base.

Zelda BotW, en plaçant des ennemis progressivement plus puissants et plus nombreux sur la route des joueurs, permet d’apprendre à lire les patterns des mobs, et aide donc à récolter des ressources qui font graduellement gagner en puissance (je le répète, c’est un bijou de game design). Hyper Light Breaker, quant à lui, collectionnait les points qui, mis ensemble, donnaient une recette parfaite pour une expérience particulièrement frustrante. Au lancement de son accès anticipé, il fallait cinq bonnes heures pour commencer à prendre le jeu en main correctement, qu’il s’agisse des combats ou même de son système de ressources et de récompenses. Les soucis de game design ont cependant été compris par le studio, qui a proposé une feuille de route fort convaincante pour la poursuite de l’accès anticipé de son titre.
L’importance de l’onboarding
Bref, après lecture de ce long, très long dossier sur l’onboarding en game design, vous aurez compris, je l’espère, l’importance de bien le concevoir. Celui-ci va bien plus loin que la simple intégration d’un tutoriel : il s’agit plutôt d’embarquer les joueurs dans une expérience ludique complète et équilibrée, et ce, de manière progressive.
L’onboarding n’est bien sûr qu’une première partie de l’expérience ludique, mais elle se révèle particulièrement importante pour deux raisons. Premièrement, il s’agit du premier contact des joueurs avec le jeu, le risque est donc grand de perdre une partie de la player base lors de la première partie. Deuxièmement, l’onboarding impacte en réalité l’ensemble de l’expérience de jeu qui suit, puisque c’est lui qui détermine si les joueurs vont bien maitriser le système de jeu.
N’hésitez pas à me dire en commentaire si vous avez apprécié ce dossier un peu plus technique que d’habitude et si vous voulez que j’aborde des sujets en particulier en game design. Je suis aussi preneur de toute question que vous auriez sur le sujet !
Sources :
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2 réponses
Je me retrouve dans ce que tu dis, comme je joue à pas mal de jeux différents.
Rien qu’à la lecture , je sais que j’ abandonnerais vite hyper light breaker.
J’ai joué à Hadès, mais j’ai préféré Dead cells.
il faut de l’expérience pour se lancer dans un jeu comme ceux-là pour dire de les apprécier.
Il ne faut pas lâcher le jeu, il faut le parcourir à plusieurs reprise pour enfin lui trouver un intérêt.
La difficulté d’un jeu rebute énormément pour un joueur, quand on sait que les jeux comme Bloodborne etc sont d’une difficulté énorme car punitif, qu’on sait que l’on va devoir apprendre les mécaniques d’un boss, on ne s’y lance même pas.
Pourtant , j’adore tous ces univers et franchement triste de ne pas pouvoir les jouer.
L’univers de ces jeux sont tellement intéressant mais bon galérer sur un jeu, ce n’est pas évident.
Et de plus tellement de jeux, que si tu veux toucher un peu à tout, on ne peut pas se permettre de perdre ce temps.
Justement les Open World deviennent de plus en plus pénible car tu sais que tu vas devoir passer un temps fou dessus.
A moins d’un glitch, enfin un jeu The First Berserker Khazan, qui est dans la famille des jeux durs, introduit un mode plus facile et là , je vais pas me priver de me le prendre, et de le parcourir, triste que les autres jeux ne le fassent pas….je trouve cela stupide de ce priver d’une partie des joueurs alors que cela ne fait strictement rien pour les hardcore gamers.
Tu as vraiment rendu ce sujet accessible à tous ; merci !