Comment le jeu vidéo raconte-t-il la violence ? 

Un dossier qui porte sur la violence dans le jeu vidéo, mais sans les stéréotypes habituels, ça vous tente ? Let' go!

Bien le bonjour chers lecteurs sans peur. Aujourd’hui, je vais vous parler de violence et de jeux vidéo. Vous allez me dire : « Ouais, mais PY, ta carte mère a grillé, c’est pas possible, Eric avait déjà traité le sujet, pis toi aussi un peu en parlant des armes, pis de toute façon, la violence et les jeux vidéo, c’est bon, on en a assez bouffé comme ça… », et moi de vous interrompre de manière fort peu polie, mais indispensable : calmez-vous, ma perspective sur le sujet est intéressante. On ne va pas polémiquer sur « Est-ce que le jeu vidéo rend violent ? » ou « Est-ce que la violence est nécessaire dans le jeu vidéo ? » ou encore « Est-ce que jouer à The Evil Within en slip vous rend diabétique de type 2 ? » ; rien de tout ça. Aujourd’hui, on va voir comment le jeu vidéo raconte la violence (coup de tonnerre inquiétant).

Ce n’est pas nouveau, depuis le début du jeu vidéo, la violence a joué un rôle crucial. En effet, les jeux vidéo ont vu le jour sur des ordinateurs dédiés à des simulations militaires dans d’obscures caves remplies d’hommes encapuchonnés buvant des calices remplis de sang de chèvres hémophiles. Ainsi, SpaceWars, développé en 1958, était déjà un jeu où il était question de mettre sur la tronche de son voisin. S’en suivirent de nombreux titres plus ou moins violents, qui firent ou non polémiques.

Industrie vidéoludique
SpaceWar !

Le souci lorsque l’on parle de violence dans les jeux vidéo, c’est que l’on aborde toujours l’aspect quantitatif de la chose : ce jeu est-il très violent, moyennement violent, pas violent du tout ? Dernièrement, j’ai eu The Last of Us 2 entre les mains, et j’ai commencé à me poser des questions. Ce jeu-là est-il vraiment plus violent que d’autres jeux ? S’agit-il réellement d’un problème quantitatif ? Mon hypothèse, c’est que le cœur du problème ne se situe pas là, mais plutôt dans la manière dont le jeu utilise la violence dans ses différents langages, et dans la façon dont il la traite.

La violence anecdotique dans les jeux vidéo

L’utilisation de la violence la plus claire qui me vient à l’esprit, c’est dans son rapport aux mécaniques de jeu. La violence a cela de pratique qu’elle implique quasiment de facto une forme d’interaction ; une aubaine pour un média dont l’une des caractéristiques principales repose sur l’interaction ! C’est un peu la voie de la facilité, car elle permet de conter des récits que l’on connait bien. Prenons l’une des structures narratives les plus connues : le héros qui doit sauver une demoiselle en détresse. Dans ce cas-là, la violence permet des interactions et crée des enjeux ; et que serait donc un récit sans enjeux ?

Ainsi, dans la plupart des jeux, la violence est un moteur qui permet d’avancer vers un but. Les Beat Them’All sont l’exemple le plus clair de jeux où la violence joue un rôle prépondérant, étant donné qu’elle en constitue le core gameplay. Que ce soit dans Double Dragon en 1987, Bayonetta en 2009 ou Street of Rage en 2020, l’idée est de proposer au joueur de tuer un maximum d’ennemis afin d’avancer vers la fin du jeu. Elle est donc indispensable. Tellement indispensable qu’on ne la voie plus vraiment.

That référence !

En revanche, dans des jeux d’action/aventure, elle ne constitue pas le cœur du gameplay comme dans un Beat Them’All, mais elle occupe tout de même un espace important du point de vue du game design. Prenons le jeu Marvel’s Spider-Man paru l’année dernière : Peter Parker est un good guy. Pour combattre les criminels, il utilise ses poings et ses pieds, et tabasse allègrement un grand nombre d’opposants. Mais voilà, Spider-Man, c’est un héros, il ne tue pas ses opposants. Aussi, quand vous tentez de balancer des ennemis du haut de gratte-ciels, votre avatar les colle automatiquement sur une paroi avec sa toile, ainsi vos actions collent à l’image du personnage développé dans la narration.

Et vas-y qu’on tue un mec dans les hautes herbes…

Ici, la violence est mesurée et colle particulièrement bien à la narration, ce qui lui donne un aspect acceptable. Par contre, il existe des jeux où la violence déployée par notre héros entre en contradiction avec l’image construite par la narration, comme dans la série des Uncharted. La plupart du temps, Drake est présenté comme un good guy également, plutôt drôle et attachant ; on aurait presque envie de boire une bière avec lui pour se marrer un bon coup. Pourtant, si on se penche un peu sur ce qu’il fait dans le jeu, on incarne un meurtrier de masse, un pur psychopathe qui rompt le cou à ses ennemis sans état d’âme, parfois même en lançant une petite vanne de-ci, de-là. C’est ce que l’on appelle la dissonance ludo-narrative : la narration est en contradiction avec le gameplay.

Dans les faits, ce qu’accomplit Drake est horrible, mais la manière dont sont traités ses actes relève de l’anecdote. Visuellement, il n’y a pas trop de gore, le jeu reste assez joyeux, les ennemis sont juste des ennemis, des vilains pas beaux anonymes, on n’y réfléchit pas trop. Les jeux qui soulèvent plus de questions du côté de l’opinion publique sont souvent des jeux où le côté gore est plus prononcé, comme si la violence n’était présente que lorsque l’on voit du sang ou des tripes à l’écran.

La violence ridicule dans les jeux vidéo

Les Mortal Kombat ont fait sensation à l’époque, étant donné que le plaisir de jeu provenait principalement de la découverte des Fatalities, ces mises à mort assez inventives, particulièrement sanglantes et qui n’apportaient rien en termes de stratégie aux affrontements si ce n’est du gore totalement gratuit. Si au départ, cela a posé question, la parution d’un nouveau Mortal Kombat ne fait aujourd’hui plus polémique. Les Fatalities sont certes sanglantes, mais le ridicule des actions effectuées par les personnages nous pousse à prendre du recul par rapport à la situation. Cette débauche de violence a tellement peu de sens qu’elle ne choque plus personne. Il nous est impossible de nous identifier à un mec qui arrache la colonne vertébrale de son opposant à main nue.

Il en va de même pour la série de jeux vidéo Doom. Lors de sa sortie en 1993, Doom premier du nom avait fait parler de lui. Il cristallisait les inquiétudes quant au média vidéoludique par la violence qu’il représentait, violence encore une fois principalement « incarnée » dans le gore du jeu. Doom 3 par exemple, en 2004, a fait l’objet de pétitions provenant des milieux chrétiens. Aujourd’hui, avec Doom Eternal, on enfonce des humérus dans des jugulaires, on crève les yeux de nos ennemis avec leurs propres griffes, et tout ça, à un rythme effréné et jouissif, et ça ne suscite plus la polémique comme auparavant (à part dans les locaux de Familles de France, mais ce sont des cas à part). Les finishs sont stylisés d’une manière très hollywoodienne (comme beaucoup de jeux du genre : Le Seigneur des Anneaux : L’Ombre de la Guerre, Tenchu, etc.). À nouveau, cette débauche de violence n’est pas crédible pour un sou, elle ne nous ébranle pas.

Douleur et violence

TOP 5 des jeux vidéo les plus controversés de tous les temps
Doom, c’est un jeu vachement dynamique quand même !

Cependant, si on se penche sur un jeu de 1986 intitulé Chiller, la débauche de violence est tout aussi ridicule que dans Doom ou Mortal Kombat, mais elle est plus dérangeante. Il s’agit d’un shooter où le but est de torturer des gens. Exagérément gore, si on suit la logique que je viens de déployer jusqu’à maintenant, le jeu ne devrait pas être si dérangeant que cela. Mais force est de constater qu’il l’est. Pourquoi ? J’ai une petite théorie : la douleur comme objectif.

Dans Doom, le plaisir vient de l’action frénétique et des actions stylées du personnage, dans Mortal Kombat, le plaisir se trouve dans la découverte des idées cheloues que les développeurs ont décidé d’implémenter comme Fatality, le plaisir ne vient pas de la douleur qu’on inflige. Dans Chiller, l’objectif premier du jeu est de torturer et d’infliger des supplices. C’est en cela que la violence et le gore du titre s’avèrent gênants : la torture est un but en soi.

Violence et jeux vidéo
Chiller est un jeu qui me met mal à l’aise…

En 1998, Wild 9 est paru. Il s’agit d’un jeu où il était possible de torturer les ennemis. Inutile de préciser que cela s’est également révélé problématique. Cette problématique est notamment devenue saillante lors du processus de localisation. Voici la description de la version U.S. du jeu :

« Forget simple jumping and running. Wild 9 is the first game ever to let you torture your enemies! Use the mangler or the decapitator to finish them off. »

« Oubliez les simples sauts ou la course. Wild 9 est le tout premier jeu qui vous permet de torturer vos ennemis ! Utilisez le mutileur ou le décapitateur pour les achever. »

Un peu gênante comme description, n’est-ce pas ? Et voici ce qu’ils ont écrit dans la version japonaise localisée :

« While solving the puzzle elements at each phase, find your group members in the first half who have been captured by your enemies. In the second half, use their special abilities and work together with them to escape! »

« Lorsque vous résolvez les puzzles dans chaque phase, trouvez les membres de votre groupe qui ont été capturés lors de la première partie du jeu. Dans la seconde partie, utilisez leurs capacités spéciales et travaillez en équipe pour vous enfuir ! »

Lors de la localisation, non seulement la description du jeu a été changée, mais des éléments du jeu en tant que tels ont été modifiés. Les sons des chocs et d’autres détails ont été remplacés par des assets plus cartoonesques, ce qui rendait les scènes de torture plus drôles et les adoucissait.

Violence et jeux vidéo
C’était même noté sur la boîte !

La torture et l’envie d’infliger de la douleur semblent être au cœur du malaise. Plus que la violence en tant que telle, c’est notre rapport à la violence qui semble causer notre embarras. Dans Uncharted ou Marvel’s Spider-Man, c’est notre avancée dans l’histoire et vers un but précis qui nous satisfait, pas la violence en tant que telle. Dans ces deux franchises, elle n’est qu’un intermédiaire, un point de passage obligé pour accéder au plaisir du jeu.

Une violence légitime ?

Quel serait le point commun entre Doom et Marvel’s Spider-Man ? À première vue, d’aucuns seraient tentés de dire qu’il n’y en a pas. Mais si l’on s’intéresse aux héros de ces jeux, que peut-on remarquer ? Comme Spider-Man, le Doom Slayer est un héros à sa manière. Il est là pour sauver l’humanité et poursuit un but louable. Si un joueur venait à s’identifier à lui en dépit du niveau de violence peu crédible que présente le jeu, ce ne serait franchement pas très grave, car les meurtres qu’il commet sont généralement considérés comme légitimes et nécessaires. C’est un héros, les ennemis sont des méchants, point barre. Ça s’arrête là…

test de Spider-Man
Eh oui, Spidey est un peu comme le Doom Slayer !

Mais que se passe-t-il lorsque l’on n’a pas envie de s’identifier au héros, quand celui-ci n’a pas d’objectif louable, quand ses valeurs ne correspondent pas à ce que l’on attend d’un bon citoyen ? Eh bien, ça donne des joueurs mal à l’aise. Hatred, jeu publié en 2015, a fait sensation de ce point de vue, c’est le moins que l’on puisse dire. À cause de son contenu, il a été retiré de Steam Greenlight, puis remis dans le système peu de temps après. Le jeu commence par ces lignes :

« Mon nom n’est pas important. Ce qui est important, c’est ce que je vais faire. Je déteste ce putain de monde et ces vers humains se goinfrant de sa carcasse. Ma vie toute entière est froide, remplie de haine amère. Et j’ai toujours voulu mourir d’une mort violente. C’est le moment de se venger, et aucune vie ne sera épargnée. Et j’emporterai dans la tombe autant de gens que possible. C’est le moment pour moi de tuer. Et mon heure est venue. »

Le héros n’en est clairement pas un. Sa motivation première est le meurtre de masse, il n’y a aucun autre objectif. Il est motivé par la haine du genre humain et de la société. Il prend plaisir à tuer, tant les civils innocents et désarmés que les officiers de police qu’il croise sur son chemin. Destructive Creations, le studio derrière ce jeu, voulait critiquer l’idée du politiquement correct. Mais a-t-il réussi ?

Votre personnage achève souvent les gens à terre, comme s’ils n’étaient rien…

Pour moi, le jeu transpire la haine, et par sa glorification de la violence, ne critique pas grand-chose. Il a le mérite de nous pousser à nous questionner sur son utilité en tant qu’œuvre, mais jamais son propos ne transparait dans son écriture ou dans sa structure. Pour comprendre le but des développeurs, il faut impérativement connaitre le contexte de sa création. À titre personnel, même si les mécaniques du jeu sont OK, et que le titre est plutôt bien fait de ce point de vue, je pense que lorsqu’un jeu ne se suffit pas à lui-même, il s’agit d’un mauvais jeu. Le propos d’une œuvre doit, selon moi, pouvoir être inféré par le joueur, sans quoi il s’agit simplement d’un objet sans propos. Les joueurs qui ne se renseignent pas sur le jeu n’apprennent rien, ne réfléchissent pas et passent à côté de l’objectif des développeurs.

La violence en tant que propos dans les jeux vidéo

L’échec de GTA

GTA VI
Ceux qui ont joué à GTA V se souviennent de cette scène !

La violence peut également être le propos d’un jeu, qu’elle prenne la forme de violence physique, psychologique, étatique, etc. Grand Theft Auto constitue un bon exemple. La série des GTA a souvent fait polémique de par le fait qu’il est possible de flinguer n’importe qui, et que l’on peut faire n’importe quoi. Cependant, si l’on se penche sur la structure d’un GTA et sur les dialogues, on remarque que le jeu a un propos qui ne se résume pas à « le crime c’est marrant et ça paie ».

Dans son livre GTA IV, L’envers du rêve américain : jeux vidéo et critique sociale, Olivier Mauco montre qu’il s’agit là d’une critique sociétale des USA et de leur manière de traiter les immigrants (critique du rêve américain, médias fictionnels satiriques, etc.). Dans GTA V, un passage est également particulièrement parlant : à un moment, lorsque l’on incarne Trevor, on doit torturer un homme. Cette scène est particulièrement dure. Après la mission, Trevor parle avec sa victime et lui dit :

« Les médias et le gouvernement voudraient nous faire croire que la torture est nécessaire. Qu’on en a besoin pour obtenir des informations. […] La torture, c’est pour le bourreau. Ou celui qui donne l’ordre de torturer. On torture pour le fun. Tout le monde devrait l’admettre. C’est pas comme ça qu’on obtient des informations. »

Trevor utilise le mot « bourreau » en se référant indirectement à la société américaine. C’est un terme chargé négativement, et par ce dialogue, GTA critique les pratiques des instances gouvernementales américaines, mettant en exergue que leur manière de procéder est futile, et relève davantage de l’exercice d’une forme de pouvoir punitif que d’une réelle volonté d’obtenir des informations.

Violence et jeux vidéo
Ça a l’air paisible comme ça !

Cependant, selon moi, cette critique de la société américaine et de la violence particulièrement ancrée dans son fonctionnement échoue quelque peu. En effet, à aucun moment le jeu ne nous fait nous sentir mal vis-à-vis de nos actions, ou alors de manière très anecdotique. Sans certaines clés de lecture, on peut passer à côté de son propos. Cela n’en fait pas pour autant un mauvais jeu, mais il est différent de, disons… The Last of Us 2.

Comme le dit Karim Debbache dans sa vidéo sur Les Affranchis, il est très difficile de critiquer la sphère des gangsters dans des œuvres pop-culturelles, parce que le fait de les représenter à l’écran nous pousse à éprouver de l’empathie pour eux. Ceci explique pourquoi beaucoup de films échouent de ce point de vue, et cela explique aussi, selon moi, pourquoi la franchise des GTA échoue partiellement.

The Last of Us 2 : une critique réussie

test de The Last of Us 2
Rien que cette image annonce la couleur !

Cependant, il est un jeu qui n’a pas échoué, j’en veux pour preuve la pléthore d’articles sur le sujet qui ont été publiés partout sur la toile : The Last of Us 2. Son propos, c’est la spirale de la haine et de la violence. D’après Esteban Giner sur son blog Les Chroniques Vidéoludiques, The Last of Us 2 présente les mêmes pêchés que je viens de vous présenter : par son utilisation de la violence, et la glorification des actions violentes qui surviendrait de facto lorsqu’on les accomplit, son propos deviendrait caduc.

Sur ce point, je suis en désaccord. Si l’on s’intéresse un peu aux théories de la communication, et plus particulièrement à certains concepts de sémiologie cognitive, on découvre les concepts de centration et de décentration. La centration, en gros de chez gros, c’est lorsque l’on représente un personnage au sein d’un réseau que l’on appelle intersubjectif (en gros, un réseau de différents personnages), et qu’il en est le centre. Dans le livre Introduction aux théories de la communication, les auteurs présentent le cow-boy comme l’exemple parfait.

comment le jeu vidéo raconte la violence
Le rendu est très cinématographique !

Dans les Westerns, on a souvent un cow-boy au centre de tout, un être unique et souvent exceptionnel. Il est plus fort que tout le monde, plus malin que tout le monde, il est le centre de l’histoire. La centration ne permet pas beaucoup de recul critique. En effet, il est la seule référence,  on l’admire, on s’identifie à lui. Bref, on pousse le spectateur à ne prendre en compte la perspective que d’un personnage unique qui jouit souvent d’une grande légitimité dans l’histoire et dans l’univers fictionnel.

En revanche, de l’autre côté de la balance, on trouve le concept de décentration. Selon ce concept, on découvre la perspective de plusieurs personnages, et cela pousse le spectateur ou le joueur à prendre du recul par rapport à leurs décisions ou leur posture émotionnelle, par exemple. Expérimenter plusieurs points de vue permet de vivre ce que l’on appelle des dissonances. Les points de vue entrent en compétition les uns avec les autres, et l’on est obligé de prendre du recul afin de pouvoir articuler des postures parfois contradictoires.

Le jeu qui joue avec nos pieds

comment le jeu vidéo raconte-t-il la violence ?
La beauté juste à côté de l’horreur, c’est comme ça que je définirais The Last of Us 2.

Or, dans The Last of Us 2, la représentation d’une violence crue, et le fait que l’on y prend activement part, me parait tout à fait indispensable. POTENTIEL SPOILER. En en discutant avec la chercheuse Géraldine Wuyckens de l’Université de Louvain-la-Neuve, dont une partie de l’expertise se situe dans les domaines de la sémiologie structurale, pragmatique et cognitive, nous en sommes arrivé.e.s à la conclusion que le jeu dans son ensemble est une décentration « poussée à l’extrême ».

En effet, grâce à une narration habile (en dépit de certaines faiblesses d’écriture, comme notre cher Donnie Jeep me l’a fait remarquer) et du fait qu’il nous permet d’incarner des personnages antagonistes, le jeu nous pousse à vivre des expériences contradictoires. Cependant, dans un premier temps, The Last of Us 2 joue avec nos pieds et nous fait vivre une expérience proche de la centration. On s’identifie à Ellie, le personnage apparemment principal à ce moment-là. Elle commet des atrocités, mais il est encore difficile à cet instant de prendre du recul. On comprend son point de vue, on comprend ses motivations, et on participe à son objectif : se venger d’Abby, qui a tué son père de substitution lors d’une scène sanglante et violente.

Le scénario de The Last of Us pourrait arriver dans la vraie vie !
Joel !

Et dans un premier temps, on soutient Ellie, peu importe les actes de violence que l’on commet en la contrôlant. Ensuite, au milieu du jeu, The Last of Us 2 nous force à jouer Abby et bouleverse nos convictions. Ainsi, le joueur vit une dissonance du point de vue de ses certitudes, puisque le jeu nous fait prendre conscience que les deux camps sont peuplés d’êtres humains, tous victimes d’une situation qu’aucun d’entre eux n’a souhaitée, tous victimes d’émotions et de sentiments douloureux dont ils n’ont pas le contrôle. En somme, ils sont victimes de leur humanité.

Et c’est ainsi que le jeu emporte le joueur dans la même spirale de violence que ses personnages. Pour qu’il y ait décentration, il faut qu’il y ait dissonance, et pour qu’il y ait dissonance, il me parait difficile d’éviter que les joueurs expérimentent cette violence d’une manière ou d’une autre. Afin que les joueurs se questionnent sur le propos du jeu, qui est la spirale de la violence et de la haine, l’une des têtes pensantes du projet a décidé de jouer avec les émotions des joueurs. Il faut bien avouer qu’il le fait à merveille. FIN DU POTENTIEL SPOILER.

Neil Druckmann et The Last of Us 2

En réalité, Neil Druckmann, vice-président de Naughty Dog, a parlé dans une interview de ses inspirations, lesquelles ont d’ailleurs fait polémique sur Twitter. Certaines personnalités du jeu vidéo, comme Thomas de la chaîne Game Spectrum, ont abordé certaines paroles de l’interview de manière synthétique, voire fallacieuse, en résumant ses motivations à une soif de sang presque perverse.

En réalité, dans cette interview, Duckmann raconte : 

« Je ne veux pas entrer dans les détails, mais j’ai vu une vidéo d’un lynchage quand j’étais beaucoup plus jeune. […] Et puis, j’ai ressenti une haine intense pour les personnes qui ont commis le lynchage et je me suis dit : oh, si je pouvais faire du mal à ces gens de façon horrible, je le ferais. »

Suite à quoi a-t-il commencé à prendre du recul, regrettant peu à peu la haine qu’il a ressentie :

« Oh, nous pouvons faire en sorte que le joueur ressente cela, nous pouvons vous faire ressentir cette soif de vengeance. Cette soif de vengeance et vous faire aimer commettre ces actes et ensuite vous montrer l’autre côté pour vous faire regretter. Vous faire sentir sale pour tout ce que vous avez fait dans le jeu, vous faire réaliser que vous êtes en fait le méchant de l’histoire. »

C’est en cela que The Last of Us 2 est un jeu innovant qui aborde la violence de manière inédite. C’est probablement l’un des premiers jeux AAA à ne pas ménager ses joueurs et à les pousser à prendre une distance critique vis-à-vis de leurs actes. Et cela, en évitant les sermons peu subtils ou les discours moralisateurs. Ce sont les joueurs qui s’engagent sur ce chemin, et c’est face à leurs responsabilités de joueur qu’ils prennent du recul.

En conclusion, violence et jeux vidéo sont intrinsèquement liés, pour le meilleur et pour le pire. Parfois la violence ne sert que de facilité ludique et scénaristique, parfois elle relève de l’anecdote, parfois, elle est réellement problématique, et parfois, elle en devient le propos. Le jeu vidéo est un média qui évolue, qui gagne en maturité. Les créateurs sont de plus en plus nombreux à prendre conscience de son potentiel pour transmettre des messages qui vont plus loin que le simple divertissement. Parfois, c’est raté, et parfois, les langages du jeu vidéo s’unissent pour fournir une expérience époustouflante sur un terrain où on ne l’attend pas forcément.

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6 Responses

  1. Wow. En voilà du beau dossier, bien ficelé et parfaitement étayé d’exemples concrets. Bravo P-Y.

    Pour en revenir à TLOUII, je tiens à préciser que je ne trouve pas de « faiblesses d’écriture », c’est juste que dans sa première partie il me semble que la qualité est irrégulière et un peu en deçà de ce que ND avait pu faire sur Uncharted 4 (plus un choix de structure narrative vers le début que je comprends parfaitement mais dont je pense qu’il aurait pu être effectué différemment même si lors de ma deuxième partie il m’a moins dérangé pour être franc).

    Bon, par contre, à partir de la moitié du jeu, ils lâchent les chiens (pun intended) et proposent sans doute ce qu’ils ont fait de mieux (le titre étant selon moi leur plus grande oeuvre à ce jour, et probablement un marqueur majeur dans l’histoire du JV quand on regardera avec quelques années de recul).

    1. Merci pour ton commentaire 😀

      Oui, désolé, c’est vrai que tu l’avais exprimé comme ça aussi ^^

      Ah oui, ça t’as moins dérangé lors de la deuxième partie ?

      Je trouve aussi que TLOU2 marque une étape importante dans le JV AAA !

  2. Je ne connaissais pas du tout Chiller, on dirait un jeu amiga , wild 9 et Hatred.

    Hatred ce que tu décris, cela me fait penser au policier qui s’était fait tirer dessus une fois, et qui blessé demandait au djihadiste de ne pas le tuer et qui a pris son arme et l’a abattu comme une merde sur le sol…si j’ai bonne mémoire ?.. comment ne pas avoir de la haine, c’est facile de faire le boss quand on a une arme à feu…mais à main nue aurait-il été aussi fort et puis surtout savoir tuer quelqu’un comme ça, il ne faut pas avoir de sentiment, et pourtant ils ont des enfants, des femmes mais c’est une autre mentalité , qui n’est pas compréhensible pour tout le monde. Quand tu vois ça, comment ne pas avoir envie de l’étriper et de lui rendre la monnaie de sa pièce.

    On est des êtres humains, on est tous différent, on est pas né dans le même moule, on ne pense pas tous pareil. De là à dire que le mal est le bien et l’inverse, je ne pense pas. A la base cela vient de comment on a été éduqué et si on a eu la chance de l’avoir été. Chacun a ses propres valeurs.

    J’ai regardé quelques western ancien et plus récent. C’est vrai que c’est souvent la défense de la veuve et de l’orphelin. Maintenant s’ils mettaient un « méchant » avec une vraie histoire qui lui est arrivée, cela procurerait une hésitation de savoir si on préféré le méchant ou le gentil. Quand ils en font quand ce sont des anciens bandits de l’ouest, ben on s’attache plus aux bandits qu’au shérif. Maintenant si des deux côtés les histoires de leur vie sont bien racontées, là on se posera la question de se dire qui on préfère comme parti.

    On dit souvent qu’il y a une partie de mal en nous. Quand on est poussé à bout, on voit souvent comment est véritablement la personne et ce n’est pas que du beau. Une véritable personne 100% saine cela n’existe pas et même ceux qui ont donner leur vie à Dieu.

    Je prend un simple jeu de voiture sur console, tu en as qui roule en sens inverse , juste pour te défoncer. Le jeu ils l’ont payé, une fois je ne dis pas que ça ne peut pas être marrant mais toute une soirée à le faire. La personne a un souci psychologique, déjà rien que là tu vois si une personne va bien mentalement. D’ailleurs ce sont des joueurs que l’on devrait signaler, point de vue de leur comportement , de manière à les faire suivre par un psy. Quand tu vois la rage et la haine de certains joueurs en ligne, qui t’insultent violemment, là tu te dis la personne doit être enfermée.

    C’est dommage qu’on ne sache pas les signaler, reprendre leur IP et qu’ils suivent un contrôle sérieux, parce que cela pourrait en sauver certain. On sait les signaler, mais c’est juste pour les bannir du jeu mais ce n’est pas cela qui les aidera. Mais déjà rien qu’en jouant en ligne certaines personnes font peur.

  3. C’est un excellent dossier P-Y, vraiment ! ? C’est cool de parler d’un sujet qui diffère des habituels « la violence dans les jeux vidéo rendent agressif », « les jeux vidéo sont de plus en plus violents et immoraux » etc. En gros tu as raison les jeux vidéo et la violence (dont la forme, le degré et l’intensité varient) sont liés d’une manière ou d’une autre. Après il est sûr qu’il existe des jeux sans aucune trace de violence et il faut le souligner, on peut aussi créer des jeux vidéos sans la moindre représentation de la violence !

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